Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 48 – septembre 2016  

  ISSN 2264-0363
 

« Aux crochets de l’État… »







Alain Trez


L’État, c’est un monsieur prêteur et malgracieux assis derrière un guichet.
Anatole France[1]

Récemment, lors d’une table ronde organisée dans une mairie d’arrondissement de Paris, sur le thème des circuits alternatifs pour la promotion du travail des artistes contemporains, un élu, adjoint à la culture, a déclaré que les plasticiens vivaient « aux crochets de l’État. » Ce propos a jeté un froid dans l’auditoire, puis suscité un tollé… L’auteur de ces propos a alors essayé, fort maladroitement, de les attribuer non pas à lui-même mais à un tiers qui lui aurait déclaré que… Esquive assez classique quand on s’est engagé dans un bourbier : « c’est pas moi qui l’ai dit, mais quelqu’un d’autre. »

    Au-delà de l’évidente maladresse de tels propos, surtout devant un auditoire majoritairement composé de plasticiens, il importe de comprendre pourquoi de telles idées reçoivent un accueil favorable auprès d’un public de plus en plus large et, ce, malheureusement pas seulement parmi les militants extrémistes qui récusent d’emblée toute forme d’expression artistique qui sort des canons d’un académisme démodé depuis plusieurs générations.

    Oui. L’État subventionne les arts plastiques. Dans des proportions infiniment plus faibles que les arts vivants[2], certes, mais il le fait. Au sens strict, une subvention se justifie quand il y a compensation pour perte au profit de la communauté. Si la création plastique contemporaine est aidée financièrement par l’État, c’est qu’elle doit apporter quelque chose à la communauté. Jacques Chirac, alors candidat à la présidence de la République, parmi d’autres, l’a bien formulé : « L’État est un rempart nécessaire pour éviter une culture uniformisée et soumise aux réalités économiques. »[3] Ou, plus récemment, Jack Lang : « Je ne comprends pas qu’on mégote sur la culture. Parce que d’abord, généralement, c’est peu d’argent. Et c’est si précieux. C’est le bonheur de vivre, c’est en même temps une élévation de l’esprit. [...] Et c’est aussi un remède contre la violence, l’exclusion. »[4]

    Ce rôle de rempart contre l’uniformisation, la violence ou l’exclusion, l’État et les collectivités locales le mettent en œuvre à travers trois modes de financement : les subventions directes, la mise à disposition de ressources matérielles ou humaines et la déductibilité fiscale des dons aux associations sans but lucratif. L’ensemble de ces trois sources d’engagement peut représenter des sommes significatives, mais, comme nous allons le voir, les artistes n’en sont que très rarement des bénéficiaires.

    Contrairement aux artistes des mondes du théâtre, de la musique, du cinéma, de la danse ou du cirque, les plasticiens ne bénéficient d’aucun régime social protecteur du type de celui des intermittents du spectacle. Ils ne disposent d’aucun moyen d’action de masse pour faire valoir leur droit et reconnaître leur valeur ajoutée à notre société. Ils peuvent se mettre en grève mais quel poids aurait-ce par rapport à la moindre manifestation de mauvaise humeur de leurs confrères acteurs, musiciens, cinéastes, danseurs ou saltimbanques ?

    Cette situation est aggravée par le fait que, pour le plus grand nombre de nos concitoyens et de nos dirigeants, le plasticien vit d’amour et d’eau fraîche. Il ne viendrait jamais à l’idée d’un responsable de collectivité locale ou nationale de faire appel à un acteur, à un chanteur ou à un musicien sans lui verser un cachet. En revanche quand il s’agit d’un peintre, d’un sculpteur, d’un dessinateur ou d’un photographe, ces mêmes responsables envisagent volontiers de le faire participer aux frais pour bénéficier de leurs prétendues largesses que sont, par exemple, la mise à disposition d’un lieu d’exposition et la promotion de son travail. Et ceux qui refusent de travailler gratis pro Deo, voire en y contribuant de leurs propres deniers, sont rapidement remplacés par d’autres, prêts à se plier à ces exigences, frustrés qu’ils sont de ne pas pouvoir montrer leurs productions. Inutile de préciser que, à ce jeu, ce n’est pas la qualité des œuvres qui prévaut mais la capacité financière de l’artiste à faire face à ces dépenses. De ce point de vue, un retraité se découvrant une vocation tardive pour le barbouillage sera donc plus visible qu’un plasticien ayant des choses à exprimer et une réelle pratique de son métier…

    Prenons quelques exemples concrets. Les centres d’art, nationaux, régionaux ou municipaux, ne vivent que par des subventions directes de l’État ou des collectivités locales. Quand on analyse leurs budgets de fonctionnement, force est de constater que l’essentiel – parfois même la totalité de leurs dépenses – va au fonctionnement de la structure, avec un poste important constitué par les frais de personnel. La part qui revient aux artistes exposés varie de rien – y compris pour de grosses structures nationales – à quelques pourcents du total budgété, ce qui, dans la majorité des cas, ne couvre que très partiellement les frais supportés par les plasticiens pour leurs prestations. Les subventions contribuent donc à faire vivre des fonctionnaires, des administratifs, des responsables culturels, des commissaires d’exposition, des régisseurs, des critiques d’art… mais aussi des imprimeurs, des assureurs, des transporteurs… Et très peu, voire pas du tout, les principaux intéressés. Que l’on ne se méprenne pas. Je ne nie pas le fait que tous ces intermédiaires soient indispensables. Ni, non plus, que ces centres d’art jouent un rôle important dans la promotion des créateurs contemporains. Je mets seulement en évidence le fait qu’ils sont les principaux bénéficiaires de la manne publique. Et que, si certains vivent « aux crochets » de la collectivité, ce ne sont pas les artistes…

    Les associations, plus particulièrement celles qui adhèrent à la charte de déontologie de la FRAAP, dans leur immense majorité, défraient les artistes de leurs dépenses pour exposer et leur versent des droits de création, d’exposition et/ou de reproduction. Dans le cas d’associations qui disposent de leurs propres locaux, ces dépenses peuvent aller jusqu’à représenter la quasi-totalité de leur budget annuel. Dans ce cas, les subventions, souvent très maigres, bénéficient effectivement bien aux créateurs.

    En revanche, pour les associations qui ne disposent pas de locaux, le poste budgétaire de location des espaces d’exposition devient très vite prépondérant. Par exemple, pour une association dans laquelle je suis impliqué, gérée par des bénévoles qui ne sont même pas défrayés des dépenses qu’ils encourent pour faire fonctionner la structure, plus de 90 % du budget passe dans la location des locaux. L’association est financée par l’État, la région, des partenaires et entreprises privés, les artistes et quelques généreux donateurs… Mais, quand on sait que les locaux loués appartiennent à une collectivité locale qui ne participe même pas au financement de l’association, on ne peut que se révolter… De fait, dans ce cas de figure, malheureusement trop fréquent, l’association joue le rôle d’un collecteur de fonds publics et privés reversés à une collectivité locale… Et l’artiste, contributeur parmi d’autres, paie, en quelque sorte, un impôt déguisé pour être autorisé à montrer son travail… Le monde à l’envers… Dans ce cas, il faut le reconnaître, c’est la collectivité qui vit « aux crochets » des créateurs…

    Le plasticien est clairement le dindon de la farce de ces processus. Il sert de prétexte à la collecte de fonds qui font vivre un grand nombre d’intermédiaires mais une partie nulle ou infime finit dans son escarcelle. Qui sont donc les crocheteurs et à qui profite-le crime ? On attribue à Samuel Johnson le propos suivant : « Une canne à pêche est un bâton avec un crochet à un bout et un imbécile à l’autre. »[5] Si les différents acteurs de la création plastique contemporaine passent beaucoup de temps à tenter de pêcher des subsides, leur crochet reste globalement assez inefficace et le faible butin ne profite que très rarement aux artistes. Je laisse le lecteur décider par lui-même qui est l’imbécile de l’histoire... Si tant est que le polygraphe du XVIIIe siècle ait raison…

Louis Doucet, avril 2016



[1] In Monsieur Bergeret.
[2] Expression déjà biaisée, comme si les autres formes artistiques, notamment plastiques, étaient mortes
[3] Discours du 7 avril 1981.
[4] In La Dépêche du Midi, 21 juin 2015.
[5] “A fishing rod is a stick with a hook at one end and a fool at the other” d’après William Hazlitt : On Egotism in Table-Talk.


Pourquoi tant de haine ?









Philippe Geluck



Marc Large



Klub



Miss Lilou



René Le Honzec



René Le Honzec


L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence.
Voilà l’équation.

Averroès

L’art contemporain fait l’objet de critiques sévères, violentes, haineuses de la part d’un nombre croissant de détracteurs, attisés et encouragés par la vague de populisme qui submerge notre pays. On lui reproche d’être élitiste, vide, commercial, laid, d’ignorer le goût du public, de brader la culture française à un impérialisme international… Et bien d’autre choses encore… Dans certaines publications et sur un bon nombre de plates-formes qui fleurissent sur Internet, on ne le nomme plus que sous l’abréviation AC. Pour faire plus savant ?

    Question de base, préalable à toute discussion : qu’est-ce qui se cache derrière cette définition ? Au sens strict, ce devrait être l’art produit par des artistes vivants, l’art de nos contemporains. Or ce n’est visiblement pas le cas, puisque ses contempteurs l’opposent toujours aux productions de vrais artistes, eux aussi bien vivants. Par ailleurs, Marcel Duchamp et Yves Klein, pour ne citer que quelques grandes figures du siècle dernier, décédés depuis plusieurs décennies, continuent à alimenter la vindicte des détracteurs dudit AC.

    De fait, comme souvent dans le cas de positions populistes, il règne dans la définition du champ de cette critique un immense vide conceptuel, une complète absence de définition. En résumant à peine, sans les caricaturer, les critiques les plus acerbes considèrent que relève de l’AC ce qu’ils n’aiment ou ne veulent pas faire l’effort de comprendre. Sur cette base, leur critique relève de la tautologie : appartient à l’AC ce que je n’aime pas, donc je n’aime pas l’AC. Brillant et imparable…

     « Je ne comprends pas, donc c’est nul et/ou élitiste… » tel est, in nuce, le ressort de cette logique de dénigrement aveugle. Ce phénomène n’a rien de nouveau, déjà au XVIIe siècle, Baltasar Gracian écrivait : « Le premier signe de l’ignorance, c’est de présumer que l’on sait. »[1] Plus récemment, Arthur Charles Clarke, dans un registre plus populaire mais non moins pertinent, reformulait le propos comme suit : « C’est le propre du barbare de détruire ce qu’il ne peut comprendre. »[2] Quant au dénigrement des prétendues élites, on ne peut que convoquer Cioran : « Dès que quelqu’un me parle d’élites, je sais que je me trouve en présence d’un crétin. »[3]

    Se développe alors une rhétorique de caractère totalitaire, résultant d’un empilement d’ignorance, de suffisance, d’amalgames, de généralisations hâtives et d’approximations. Certes, la mode, pour autant que ce mot ait encore un sens, n’est pas exempte d’excès ni de mise au pinacle d’artistes sans grand intérêt. Mais ceci n’est pas nouveau. Il en a toujours été ainsi et je ne suis pas loin de penser que les actuels contempteurs de l’AC sont ceux-là même qui, en leur temps, ont encensé Meissonier et voué aux gémonies Courbet, Manet, Monet, les réalistes et les impressionnistes.

    Il est vrai que, comme le souligne Fabrice Hergott, « L’art contemporain n’amène que peu de certitudes. »[4] Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Et puis, ne serait-ce pas une des forces de l’expression artistique que de remettre en cause les certitudes les plus ancrées, de faire vaciller les convictions fondées sur des opinions acceptées sans esprit critique ?

    Plus sérieusement, on accuse l’AC d’être trop souvent autoréférentiel. Bourdieu le remarque fort justement : « Toute une partie de l’art contemporain n’a pas d’autre objet que l’art lui-même. »[5] Mais le même Bourdieu, dans son magistral cours au Collège de France[6] démontre que toute l’œuvre de Manet a pour objet essentiel la peinture, l’acte de peindre et la position de l’artiste dans le champ artistique de son temps. Il met en exergue la primauté du modus operandi sur l’opus operatum, pour reprendre sa terminologie. Cette caractéristique est le propre de tous les grands créateurs qui ont laissé leur trace dans l’Histoire, dès que la peinture s’est affranchie de la pratique artisanale pour devenir un vecteur d’expression personnelle. En quelques mots, on ne peut réduire un plasticien à ses seules productions, en dehors de tout contexte historique, social, culturel, politique…

    Les arts plastiques sont absents de la quasi-totalité des programmes politiques. Hormis, bien sûr, de celui du FN qui veut du français et du beau… Picasso, le plus grand plasticien du XXe siècle était Espagnol et ne revendiquait aucune beauté… Il serait donc disqualifié, selon ces critères, tout comme Modigliani, Soutine, mais aussi Soulages, Zao Wou-Ki et bien d’autres… Pourquoi cette focalisation politique sur la culture ? C’est que tous les totalitarismes redoutent la création artistique, laquelle n’a aucun sens sans ouverture sur le monde, sans remise en cause des modèles, sans renouvellement des formes et sans volonté de déranger et de secouer les conformismes sclérosants. C’est ainsi que nazisme, stalinisme, maoïsme se sont attachés à brider les créateurs, y compris par la violence la plus extrême.

    Certains artistes, souvent peu créatifs, frustrés de ne pas rencontrer le succès qu’ils appellent de leurs vœux sont entrés dans cette posture critique, sans proposer, d’ailleurs, de modèle alternatif ni d’exemples de ce qu’ils jugent conformes à leurs souhaits. J’ai déjà mentionné cet artiste attardé dans une esthétique du siècle passé, sincère militant de gauche, que ses propos contre l’AC ont transformé en égérie du FN. On pense au propos de Kierkegaard : « La haine est l’amour qui a sombré. »[7] Il y a bien souvent de cela : l’amour déçu ou l’impuissance se muant en rancune féroce… La plupart de ces pourfendeurs de toute innovation se dissimulent d’ailleurs dans un très courageux anonymat ou dernière des pseudonymes. George Bernard Shaw l’avait bien compris : « La haine, c’est la vengeance du poltron. »[8]

    À titre d’exemples, voici quelques-uns des commentaires haineux laissés sur le site de notre association[9], tous émanant, bien entendu, de personnes anonymes. L’orthographe, la grammaire et la ponctuation ont été laissées telles quelles :

vous etes des salaupard en fesant de la promossion pour de la mairde
vivement marine pour que les salos comme vous soit jugés comm taitre et pendu

C’est toujours les mêmes que vous défendé. de la sous-peinture, de la sous-sculpture, de la photo qui n’est pas de l’art et des vidéos nuls.
qant est-ce que vous regarderez le vrai art au lieu des merdes capitalistes et sionistes à la mode.

Vous et les votres ne sont que des salaupards vendus aux islamistes et aux européistes sionistes qui nous proposez de la merde. Vous êtes les fossoyeur de la culture et de la civilisation française. vous serez jugé comme des traitres que le peuple reprendra le pouvoir.
vivement 2017 et Marine.

beaucoup d’énergie pour faire la promotion de merdes
vivement 2017 et Marine pour démasquer les imposteurs comme vous qui bradent la véritable culture française
allez au diable avec vos artistes de merde pour bobos éféminés

On mesure la profondeur abyssale de la réflexion et la maîtrise de l’orthographe de ces tristes auteurs. Graham Greene écrivait : « La haine n’est qu’une défaite de l’imagination. »[10] Et Tennessee Williams déclarait, dans un entretien, en 1964 : « La haine est un sentiment qui ne peut exister que dans l’absence de toute intelligence. » Nous sommes bien ici au cœur du problème. Au degré zéro de l’imagination et de l’intelligence…

Louis Doucet, juin 2016



[1] In L’Honnête homme.
[2] In 2001 L’Odyssée de l’espace.
[3] In Cahiers 1957-1972.
[4] In Evene.fr, avril 2007.
[5] In Penser l’art à l’école.
[6] Publié dans Manet, une révolution symbolique, Seuil, 2013.
[7] In Ou bien... Ou bien.
[8] In Major Barbara.
[9] www.cynorrhodon.org.
[10] In La Puissance et la gloire.


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