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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 83 – août 2019  

  ISSN 2264-0363
 

Dominique Liquois







L’oiseau de feu, 2019


Oiseaux déguisés 8, 2018


Oiseaux déguisés 3, 2018


Foire d’empoigne, 2014


Débordements, 2015


Réfléchir, 2014, 2014


Exposition Univers insulaires Sucy-en-Brie, 2018


Le Bernin
L’extase de sainte Thérèse d’Avila



Ces liens infinis N° 4, 2014


Comme on y va !!, 2012


Conflictoscopie, 2012


Couronne, 2017


Le clown, 2017


Les absences, 2012


Les trouducs, 2017


Mémoire de formes, 2016-2017


Splash !, 2012


Tout sur terre est baroque. Le bateau n’est pas plus fait pour la mer que pour le ciel.
Robert Desnos[1]

Dans ses peintures comme dans ses créations en volume, Dominique Liquois intègre des modèles formels qui appartiennent à divers registres, naturels ou technologiques, présents ou passés, réels ou fantasmés. Elle les dénature par le recours à des couleurs vives, parfois acidulées, puis les assemble par collage, juxtaposition, superposition, ligature ou couture, sans souci d’échelle, pour créer des univers ludiques et joyeux dans lesquels toute référence aux éléments d’origine s’efface au profit d’une unité d’ensemble. De ce point de vue, la peinture de Dominique Liquois peut être considérée comme une résurgence du baroque, un baroque qui aurait été expurgé de tout pathos, de toute velléité ostentatoire ou démonstratrice, au profit de la seule forme, de ses interactions avec ses voisines et avec son environnement. Il en résulte un mouvement, un dynamisme, obtenu sans recourir aux vieilles ficelles de la gestualité.

    Dominique Liquois revendique cet ancrage dans la tradition baroque. Son exposition de 2011 à l’EAC Camille-Lambert de Juvisy-sur-Orge ne s’intitulait-elle pas Conflicto Barocco ? Pour comprendre le propos de l’artiste, il nous faut probablement mettre de côté les idées préconçues que nous nous faisons de ce mouvement pour en tirer l’essence. C’est ce qu’a fait Eugenio d’Ors dans son Du baroque.[2] Pour lui, le baroque est un système surtemporaire, un éon, qui résulte de la convergence des spiritualités franciscaine, luthérienne et tridentine. Il a des manifestations avant le XVIe siècle et après le XVIIIe, jusqu’au XXe. C’est une constante culturelle qui revient tout au long de l’Histoire. Elle a ses hauts et ses bas, répondant à un principe de gravitation : « Nous avons, à ce sujet précisément, employé une seconde formule générale, que – limitée maintenant aux arts – nous appelons la formule de sa gravitation. Elle consiste à affirmer que dans la série des arts – musique, poésie, peinture, sculpture, architecture – chacun des termes occupe une position instable et tend, selon les époques, les écoles et les artistes, à revêtir les caractères de l’art immédiatement voisin. Ainsi, aux époques de classicisme, la musique devient poétique ; la poésie, picturale ; la peinture, sculpturale et la sculpture, architecturale. Réciproquement, aux époques de tendance baroque, la gravitation se produit en sens inverse : c’est l’architecte qui se fait sculpteur ; la sculpture, qui devient pittoresque ; la peinture et la poésie qui revêtent les caractères dynamiques propres à la musique. »[3]

    Si l’on doit se fier à ce propos, il semblerait que nous vivons bel et bien dans une époque dominée par le baroque. Peut-être, après tout, ne serait-ce qu’une manifestation de ce postmodernisme que l’on a tant de mal à cerner. Selon André Malraux, parlant de Georges de La Tour, le baroque se déploie en s’éloignant du corps.[4] Chez Lawrence Gowing, il aurait pour effet une distanciation entre le sujet, sa représentation et l’artiste.[5] Pour Yves Bonnefoy, « Le baroque est un réalisme passionnel. […] Le baroque aime ce qui passe, ce qui est limité, ce qui meurt. »[6] Pour Philippe Beaussant, parlant de la musique, dans un propos que l’on peut élargir aux arts plastiques, le baroque tente d’exprimer « un monde où tous les contraires seraient harmonieusement possibles. »[7] Quant à Gilles Deleuze, il caractérise le baroque par le pli.[8]

    Aussi apparemment contradictoires que puissent paraître ces propos, les œuvres de Dominique Liquois répondent à toutes ces caractéristiques.

    L’éloignement du corps, mis en avant par Malraux, est patent. Les peintures de Dominique Liquois ont une dimension architecturale, avec d’évidents emprunts à des motifs et à des images de ce domaine, mais il s’agit d’une architecture dont la complexité aurait été réduite à une dimension intimiste dans laquelle les notions d’échelle et de rapport sont subverties. Pas de présence humaine, donc, si ce n’est à travers des artefacts – témoignages d’une activité humaine – aplatis et réduits à leur aspect le plus primitif. Et quand, dans ses peintures très allongées verticalement, le parallèle avec les vitraux de cathédrales s’impose, on n’y peut lire aucune histoire édifiante, aucune volonté didactique, tout juste le pur plaisir des formes et des couleurs rapprochées avec un arbitraire apparent, mais qui ne doit rien au hasard. D’ailleurs, dans ses peintures les plus récentes, Dominique Liquois donne une place croissante à des motifs floraux ou à des oiseaux stylisés, écartant ainsi toute velléité de figurer une présence humaine. Les formes, toujours en aplats, semblent avoir été éclatées comme si elles apparaissaient dans le tube d’un kaléidoscope. Et toujours dans une inexorable frontalité.

    La prise de distance qu’évoque Gowing entre le sujet, sa représentation et l’artiste est aussi évidente dans les travaux de Dominique Liquois. On ne peut s’empêcher de penser au propos de Paul Klee qui refusait de se voir enlisé dans les excès plastiques du baroque : « Ma haine du baroque, après Michel-Ange, s’expliquerait éventuellement en ce sens que j’ai remarqué à quel degré j’y étais moi-même enlisé jusqu’alors. »[9] Chez notre artiste, la distanciation s’exerce par le recours à des motifs décoratifs universels – arabesques, rayures, pois, ellipses, crochets, palmettes, grecques, cercles… – récusant toute référence explicite, qu’elle soit abstraite ou figurative, pour ne rien trahir de la personnalité de l’artiste. Tout au plus pourrait-on deviner une influence mésoaméricaine, par exemple dans L’oiseau de feu, 2019. En effet, dans les années 1980, avant de venir à la peinture, Dominique Liquois a fait partie d’un groupe de performers, au Mexique. Ceci peut expliquer le caractère éminemment syncrétique – voire primitiviste – de ses compositions. En revanche, le registre de ses couleurs n’a rien de la stridence quelque peu terreuse des œuvres latino-américaines. Il appartient bien au baroque, non pas à celui de la péninsule italienne mais plutôt à ses développements en Europe centrale et, peut-être encore plus, en Suède. Toute gestualité est abolie, au point de masquer même le processus de réalisation de l’œuvre. On l’imagine résultant de collages et de juxtapositions mais, contrairement, par exemple, aux papiers collés de Matisse, on n’y trouve aucun indice sur l’ordre d’assemblage des formes élémentaires, pas plus que l’on y distingue un devant ou un derrière, un dessus ou un dessous. On voit bien que l’artiste veut effacer toute trace de processus et s’efforce de ne rien laisser paraître de sa personne. En quelque sorte, elle prend un déguisement, à l’instar de ses Oiseaux déguisés, 2019, peints récemment.

    Si l’on en vient à Bonnefoy, l’art de Dominique Liquois est bien réaliste. Les éléments constitutifs de son langage plastique – ses mots – sont empruntés à des atlas d’images souvent organiques, mais pas exclusivement. Ce sont de multiples éléments qui construisent, comme des coraux sur leur banc, des assemblages que l’on imagine fragiles. Il s’agit d’une sorte de réalisme organique, même si tous ses composants ne ressortissent pas au monde du vivant. Leur juxtaposition pourrait même avoir un caractère sur-réaliste si on se réfère au propos de Lautréamont – « beau […] comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! »[10] – mise en exergue par André Breton et ses amis. Si ce n’est que, chez Dominique Liquois, il n’y a rien de fortuit… Tout est calculé, à sa place, et le moindre basculement d’un élément de la composition pourrait compromettre l’équilibre de l’édifice. N’y a-t-il pas aussi dans sa démarche, un peu de ces cadavres exquis si chers aux surréalistes… Mais réalisés en solo… Passionnelles, ses œuvres le sont, à condition d’aller au-delà de cet humour qui sert souvent de cuirasse aux personnes les plus sensibles, aux cœurs mis à nu. L’absence de modelé pourrait faire penser le contraire, mais le choix de ses couleurs, ludiques et chaudes, parfois enfantines et acidulées, témoigne d’un amour passionnel pour la matière picturale. Quand la peinture risque de pencher dangereusement du côté d’un décoratif quelque peu suranné ou d’une délectation trop évidente pour le bel mestiere, l’artiste contrebalance ce tropisme en introduisant des morceaux de tissus de récupération, des galons, des glands, des ganses, des fragments de tricot… qui replongent violemment le regardeur dans une réalité tangible, loin des féeries de mondes imaginaires. Enfin, malgré la condensation d’éléments du macrocosme et du microcosme dans les limites étroites d’une toile, les peintures de Dominique Liquois sont marquées par une finitude temporelle qui ne peut que susciter une réflexion sur les fins dernières. Ces univers attachants, bien que construits de briques hétérogènes, ne sont-ils pas fragiles et sujets à une inexorable destruction, à une perte de leur capacité d’enchantement ?

    Ces univers ne seraient-ils pas ceux que Philippe Beaussant évoque quand il parle de la musique baroque. Les contraires y foisonnent, mais loin de s’opposer, ils fusionnent en un ensemble harmonieux. L’écriture de Dominique Liquois a d’ailleurs quelque chose de musical, combinant verticalité harmonique et horizontalité thématique. Chez elle, l’emboîtement des modules élémentaires constitue une ligne mélodique à laquelle les champs colorés confèrent une densité harmonique. Le champ de vision résultant constitue une forme, au sens musical de ce terme, dont, à l’instar des peintres du Blaue Reiter, l’intérieur et l’extérieur se confondent. August Macke : « L’extérieur de la forme artistique est sa forme intérieure. »[11] Wassily Kandinsky : « La forme est l’expression extérieure du contenu intérieur. »[12] Il y est question de strates, de contrepoints, d’appogiatures, de fugues, de strettes… combinés dans une architecture, complexe dans sa construction mais fluide dans sa lecture.

    Le pli, cher à Gilles Deleuze, caractérisant, selon lui, les créations baroques, n’est pas évidemment perceptible dans les peintures de Dominique Liquois. Peut-être dans ses toiles avec des ajouts de tissus et de passementeries, les plis se font-ils voir, plus suggérés par le matériau fluide, opposé à la tension de la toile peinte, que figurés. Ils relèvent donc de la sensation, d’une sorte de désir inavoué de voir le textile se froisser, tout comme Mallarmé le percevait de la pierre veuve se dégageant des brumes de Bruges :

     À des heures et sans que tel souffle l émeuve
     Toute la vétusté presque couleur encens
     Comme furtive d elle et visible je sens
     Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve
[13]

On peut aussi se poser la question de savoir si certaines compositions ne procèdent pas d’opération de pliage et de dépliage de motifs, mais toute analyse finit par résister à la démarche. En revanche, dans ses pièces en volume, Dominique Liquois cultive le pli baroque. Ces œuvres sont de deux types. Les premières, comme Foire d’empoigne, 2014, ou Débordements, 2015, se présentent comme des boursouflures ou des gonflements colorés de la surface du tableau, comme une pâte qui lèverait en emportant les qualités chromatiques de la surface dont elles émergent en contredisant sa planéité. Elles sont suturées et ligaturées, faisant apparaître des marques de contraintes sous forme de ces plis si chers à Deleuze. Les secondes, telles Réfléchir, 2014, ou les structures présentées lors de l’exposition Univers insulaires, à Sucy-en-Brie, en 2018, sont autonomes, détachées du tableau, murales ou posées sur des socles. Ces objets, dont on ne saurait dire s’ils sont votifs ou ludiques, chargés de sens ou gratuits, policés ou sauvages, inventés ou trouvés, sont soumis à des torsions et à des compressions, par le biais de coutures ou de liures. Le parallèle s’impose avec les œuvres du baroque italien, par exemple avec L’extase de sainte Thérèse d’Avila du Bernin, 1647-1652.

    La boucle est donc bouclée.

    Bien au-delà de ces considérations peut-être complexes ou absconses, les œuvres de Dominique Liquois nous incitent à nous rendre à l’impérieuse injonction d’Antoni Tàpies : « Lorsque vous regardez, ne pensez jamais ce que la peinture (ou n’importe quoi de ce monde) doit être, ou ce que beaucoup de gens voudraient qu’elle soit seulement. La peinture peut tout être. […] Elle peut être ce que nous sommes, ce qui est aujourd’hui, maintenant, ce qui sera toujours. Je vous invite à jouer, à regarder attentivement… Je vous invite à penser. »[14]

    Pensons donc…

Louis Doucet, mai 2019



[1] In Nouvelles-Hébrides et autres textes, 1922-1930.
[2] Du Baroque, 1935.
[3] Ibidem.
[4] In Les Voix du silence, 1951.
[5] In Les Peintures du Louvre, 1988.
[6] In La seconde simplicité, 1961.
[7] In Monteverdi, 2003.
[8] In Le Pli Leibniz et le Baroque, 1988.
[9] In Journal, 1917, traduit de l’allemand par Pierre Klossowski.
[10] In Les chants de Maldoror, 1869.
[11] In Les Masques, in Almanach du Blaue Reiter, 1914.
[12] In Sur la question de la Forme, in Almanach du Blaue Reiter, 1914.
[13] Remémoration d’amis belges, 1893.
[14] In La pratique de l’Art, 1994.

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