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Le poil à gratter… 
Lettre d’information de Cynorrhodon – FALDAC  
www.cynorrhodon.org  


N° 97 – octobre 2020  

  ISSN 2264-0363
 

Les Robes de Lawrence Vial







M & H


MAPD


FIAC 1


FIAC 2


Bloody Mary


Charleston


Manet


Marilyn


Pocahontas


Save Bottom


Blue Sea


Cocktail


Froufrou


Julie


Bi-goût


Si une femme est mal habillée, on remarque sa robe,
mais si elle est impeccablement vêtue, c’est elle que l’on remarque.

Coco Chanel[1]

Les Robes de Lawrence Vial ont un statut particulier et ambigu. On les remarque. Serait-ce donc, si l’on en croit Coco Chanel, qu’elles habillent mal ? C’est bien ainsi que la question se pose.[2] Sont-elles faites pour habiller des femmes de chair et d’os ou pour figurer dans une galerie d’art, portées par des mannequins inanimés, ou bien encore pour se comporter comme des tableaux ou des sculptures ? Dans une présentation de mode, elles ne détoneraient pas par rapport à ce que la haute-couture nous habitue à voir dans ses défilés périodiques. Elles sembleraient même plus portables par le commun des mortelles que certaines propositions que l’extravagance condamne à ne rester que des modèles de démonstration.

     Objets fonctionnels ou œuvres d’art ? Telle est la question. La réponse s’impose rapidement quand on prend conscience de leur matériau : elles sont réalisées avec des sacs en matière plastique, donc, par nature, peu durables et fragiles. Pourtant, leur créatrice, styliste, modéliste et plasticienne, diplômée en communication visuelle, y apporte tout le soin et toute la technique qu’elle met en œuvre, dans sa pratique professionnelle, dans le monde du théâtre, pour réaliser des costumes portables par des acteurs, mais aussi une réelle inventivité pour sublimer une substance banale.

     Nous sommes donc ici face à une première contradiction. Peut-être faut-il y voir une volonté de projection de la personnalité de l’artiste vers un statut autre, de l’actant vers l’agi, du sujet vers l’objet. Niki de Saint Phalle l’exprimait fort bien : « Je pense que mes boas, mes bottes, mes robes rouges, mon déguisement ne sont autre chose que des accessoires de ma création, exprimant le désir de faire de moi-même un objet. »[3] Lawrence Vial voulant se faire objet ? Il y a probablement un peu de ceci dans ses Robes, mais on pourrait évoquer le propos, diamétralement opposé de Louis Scutenaire qui écrivait : « La personnalité est la garde-robe du moi. »[4] Il faut probablement y voir une sorte de dialogue silencieux, une façon d’exorciser une difficulté à dire ce que l’artiste ne sait, ne peut ou ne veut articuler avec des mots. Dans le cas présent, Lawrence Vial utiliserait la robe pour exprimer, pour subjectiviser, son moi… Peut-être aussi ses Robes se comportent-elles comme des garde-corps, recourant à un langage visuel que les mots ne sauraient exprimer… On doit aussi y voir aussi un lointain écho au propos d’Annette Messager : « Être une artiste signifie guérir continuellement ses propres blessures, et en même temps les exposer sans cesse. »[5]

     Ayant longuement échangé avec Lawrence Vial, je pense que le nœud de sa production, dans ses Robes mais aussi dans ses autres œuvres, réside dans ce perpétuel va-et-vient entre chosification et distanciation, entre appropriation et dénonciation. C’est ce qui la rend difficilement lisible – ou, pis encore, taxer de facilité – pour qui ne veut pas prendre le temps de s’y attacher et d’y réfléchir. Mais n’est-ce pas la vertu première d’une œuvre d’art que de forcer le spectateur à cet effort ?

     Au-delà de ce premier niveau de lecture, les Robes de Lawrence Vial nous interpellent de bien d’autres façons.

     Tout d’abord, la relation entre contenant et contenu. Des sacs en matière plastique qui constituent son matériau de départ, Lawrence Vial dédaigne le contenu pour ne s’intéresser qu’à leur rôle de contenant de denrées matérielles ou culturelles. Elle les dénature, dans une forme d’acte transgressif, pour leur conférer le rôle d’enveloppe d’un corps féminin, présent ou fantasmé. Transfert du matériel vers l’humain, mais un humain qui n’est manifesté que par un mannequin en résine ou par le vide[6]. Une absence inquiétante en forme d’acte de protestation... Dans une de ses comédies, Georges Feydeau met dans la bouche d’un de ses personnages : « Qu’importe la robe : Que regarde-t-on ? L’écrin qui contient le diamant ? »[7] Lawrence Vial se situe aux antipodes de ce propos machiste. Il n’y a pas de diamant. Juste l’écrin… Parfois, la marque figurant sur les emballages – M & H, MAPD, FIAC… – reste visible sur les robes résultantes. Ailleurs, les titres des œuvres incitent à des comparaisons dans les registres les plus variés : Bloody Mary, Manet, Marilyn, Charleston, Pocahontas… J’y vois une tentative presque désespérée de dissimuler pudiquement une question existentielle derrière les apparences de la raillerie ou de la mondanité…

     Ces vêtements réalisés dans un matériau dérisoire et périssable, entourant un volume plus fictif que réel nous amènent à considérer une deuxième notion, très prégnante dans les œuvres de Lawrence Vial, tant dans ses Robes que dans ses autres productions, celle du moule, de la matrice ou de l’empreinte. L’artiste s’exprime : « Je cherche à casser les moules, transformer le négatif en positif. J’aime transformer le négatif en positif à partir d’une base, car l’envers m’intéresse tout autant que l’endroit »[8] Mais il s’agit, chez notre artiste, de moules et d’empreintes perdus – cassés dit-elle –, ne générant qu’un seul objet proclamant sa singularité, son originalité, sans possibilité de reproductions multiples, aux antipodes des considérations d’un Walter Benjamin sur l’aura.[9] C’est donc plus à une vision de l’envers des choses, de leurs à-côtés, que Lawrence Vial nous convie. À révéler la face cachée des fausses évidences, des mots, des apparences, du monde. Elle aime citer Paul Valéry : « Les hommes se distinguent par ce qu’ils montrent et se ressemblent par ce qu’ils cachent. »[10] Au-delà d’une diversité des apparences, il s’agit donc d’investir cet inframince entre les choses et la perception que l’on en a ou, selon Amiel, qu’elle aime aussi convoquer : « la différence entre les choses mêmes et l’idée qu’on s’en faisait. »[11] Pour tenter de retrouver l’essence commune de toute humanité… L’envers se manifeste aussi par une inversion des valeurs conventionnelles, le plastique, jetable, devenant noble et matière première, les évidences se révélant être des apparences, le caché mis en lumière…

     Dans un mouvement opposé, cette inversion des lectures met en lumière une troisième détermination de l’artiste, celle de l’affirmation de la différence et de la diversité… Dans son essence, une robe, en opposition au jean devenu uniforme, marque une volonté de différenciation de la femme qui la porte, une affirmation identitaire, une décision de se distinguer des autres. Pour elle, la différence se transforme en richesse et se pose en droit vital, que ce soit en matière d’apparences, de sensibilités, de regards, d’approches, de pays, de cultures, de naissances… Lawrence Vial aime transformer la différence en unique, la rendre précieuse, lui redonner sa force devant toutes les tentatives pour la bafouer, l’anéantir, l’éteindre… Elle cite volontiers Novalis : « L’homme qu’anime l’esprit n’achoppe pas devant les barrières et les différences ; elles le stimulent plutôt. Seul l’homme dénué d’âme en sent le poids et l’entrave. »[12] Elle affirme ainsi que le laid peut aussi être transformé en beau, qu’un pauvre en apparence peut être porteur de beaucoup de richesses non apparentes, que tout est transformation de point de vue, qu’une personne d’apparence simple, bête, maladroite, ou simplement différente, peut cacher un être magnifique et même un génie tel qu’Einstein ou Hawking. Elle nous rappelle, par son travail, qu’une matière, quelle qu’elle soit, n’a de valeur que par sa transformation et sa mutation sociales… On ne peut s’empêcher de rapprocher sa démarche de celle d’Annette Messager qui déclarait : « En tant que femme j’étais déjà une artiste dévaluée. Faisant partie d’une minorité, je suis attirée par les valeurs et les objets dits mineurs. De là, sans doute, mon goût pour l’art populaire, les proverbes, l’art brut, les sentences, les contes de fée, l’art du quotidien, les broderies, le cinéma… Les minorités deviennent fortes quand elles se servent de leurs propres atouts sans essayer d’imiter ceux de la majorité. »[13]

     Tout ceci débouche sur le quatrième point essentiel dans la démarche de Lawrence Vial : la remise en cause des évidences. Ses Robes semblent être des produits de la haute-couture, mais ne le sont pas. Leur tissu de soie n’est que de la vile matière plastique. Leur matériau pauvre devient rareté unique. Plus que moyens d’ostentation elles se muent en carapaces protectrices… À sa façon, l’artiste nous invite à changer notre façon de voir, à être plutôt qu’à paraître. Elle nous dit qu’il faut changer nos habitudes et convictions de lecture face à certaines évidences, qu’il faut redonner leur place créative et positive aux différences et à l’inconnu, qu’il faut réapprendre à voir autrement, à scruter jusqu’à la révélation, qu’il faut savoir regarder l’envers des choses, révélateur de découvertes inouïes, pour rétablir le nécessaire équilibre entre visible et invisible… Et vice-versa…

     Finalement, ce que Lawrence Vial nous dit et nous redit c’est : « regardez, cherchez, vous verrez et entendrez autrement. » Un propos à mettre en écho avec celui d’Yves Saint-Laurent : « Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués. »[14]

Louis Doucet, avril 2020



[1] Citée par Jean Lebrun in Notre Chanel, 2014.
[2] Lawrence Vial abhorre Coco Chanel, tant son image que ses lignes de produits. Il est donc peu étonnant que ses productions prennent le contrepied de celles de son aînée.
[3] Entretien avec Maurice Rheims pour le magazine Vogue, 1965.
[4] In Mes inscriptions, 1945-1963.
[5] Citée par Patrick Rémy dans Portrait d’artiste : Annette Messager, in Second Sexe, 2009.
[6] Même si elles ont fait l’objet d’un défilé de mode classique, en 2019, dans l’esprit des vêtements conçus, en son temps, par Sonia Delaunay.
[7] Pinglet, in L’Hôtel du libre échange, 1894.
[8] Citée par Jean-Michel Masqué, in L’agora des arts, mars-avril 2014.
[9] L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1935.
[10] In Mélange, 1941.
[11] In Journal, 1866.
[12] In Glauben und Liebe, 1798.
[13] Citée in Petit dictionnaire des artistes contemporains, Bordas, 1996.
[14] Conférence de presse du 7 janvier 2002.

Bernadette Delrieu – Plis et replis
Texte pour un livre de l’artiste.





















Gilles Deleuze, présentant la philosophie de Leibniz, s’appuie sur un parallèle qui fait du pli un critère pour le baroque.[1] Pour lui, « les plis du vêtement prennent autonomie, ampleur, et ce n’est pas par simple souci de décoration, c’est pour exprimer l’intensité d’une force spirituelle qui s’exerce sur le corps, soit pour le renverser, soit pour le redresser ou l’élever, mais toujours le retourner et en mouler l’intérieur. »[2] Quand j’ai découvert la série de peintures et de dessins Plis et replis de Bernadette Delrieu, je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement avec ce propos datant de 1988.

     À l’opposé de plasticiens qui, à l’instar de Simon Hantaï, font du pliage une méthode de production de leurs œuvres, Bernadette Delrieu n’utilise pas le pli comme moyen technique mais comme un donné, élément préexistant, point de départ à ses travaux qui labourent des terrains dans lesquels les notions de figuration et d’abstraction, d’intimité et de distance, d’intérieur et d’extérieur, d’exiguïté et d’immensité, de personnel et d’universel, d’enfermement et de liberté, d’ombre et de lumière, de liberté et de confinement… sont singulièrement subverties.

     Comment l’artiste procède-t-elle ?

     Avec son téléphone portable, positionné au plus près de sa personne, elle prend des clichés de fragments des vêtements qu’elle porte sur la partie basse de son corps. Ces images servent ensuite de modèles pour des peintures ou des dessins. Cette démarche réactualise, avec la technologie de notre époque, l’antique procédé de l’empreinte en introduisant, cependant, une phase de distanciation, à l’initiative de l’artiste. Il s’y joue une opposition dialectique entre caché et révélé, entre pudeur et exhibition. Une sorte de partie de cache-cache…ou de cache-sexe-cache-sexe, dans laquelle le sexe est plus prétexte qu’objet…

     L’origine des images n’est pas toujours immédiatement discernable dans les peintures et les dessins résultants. Si elle peut être manifeste dans certains, elle ne se révèle qu’au prix d’une longue observation, dans d’autres. Mais, que l’évidence s’impose ou requiert un effort, une érotique-voilée – pour utiliser la fulgurante expression d’André Breton[3] – s’impose inexorablement, de façon patente ou latente, que l’observateur le veuille ou non, à son corps défendant.

     On pourrait ainsi parler d’épiphanie, au sens étymologique de ce mot – manifestation d’une réalité cachée – et plus particulièrement dans le sens que Jacques Maritain lui donne : « L’action est une épiphanie de l’être ».[4] Le vêtement, censé dissimuler ou être dissimulé, intime, proche du corps, collant à la peau, est d’abord manifesté, puis son paraître ou son apparence se fait apparition, révélation. Épiphanie tant du corps sublimé que du concept de peinture… Y contribue fortement la volupté gourmande avec laquelle l’artiste rend les textures des tissus, leurs couleurs, leurs plis et replis, sa façon de nous donner une vision sensuelle d’un invisible fantasmé. « Tout ce qui se manifeste est vision de l’invisible »[5] déclarait déjà Anaxagore. Nous sommes bien ici dans le même registre.

     La question de l’échelle interpelle aussi le spectateur. Si les peintures et dessins restent de dimensions modestes, à l’aune des images qui leur ont donné naissance, certains finissent par prendre l’aspect de fragments de vastes paysages, plats ou vallonnés, toujours improbables, couverts de cultures ou de végétations insoupçonnées. C’est que Bernadette Delrieu est paysagiste et ce tropisme finit toujours par émerger dans ses compositions, aussi éloignées soient-elles de la Nature dans leur intention initiale… Chassez le naturel… Les textiles de la série Plis et replis servent ainsi de voile ou de rideau de scène – on pourrait dire de prétexte ou d’alibi – pour révéler un paysage, tout comme Mallarmé le devinait dans la pierre veuve se dégageant des brumes de la ville de Bruges :

     À des heures et sans que tel souffle l’émeuve
     Toute la vétusté presque couleur encens
     Comme furtive d’elle et visible je sens
     Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve
[6]

Pli selon pli… Ce pourrait être un titre alternatif à cette série…

Louis Doucet, mars 2020



[1] In Le Pli Leibniz et le Baroque, 1988.
[2] Ibidem.
[3] « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. », in L’amour fou, 1937.
[4] In Humanisme intégral, 1936.
[5] In Textes, 500-428, avant J.-C.
[6] Remémoration d’amis belges, 1893.

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