Exposition




macparis automne 2023
du 6 au 12 novembre 2023
74 boulevard Richard-Lenoir – 75011 PARIS
(notices rédigées par Louis Doucet)

1984-2024

L’année prochaine, notre manifestation fêtera sa quarantième année. Dans ces quatre décennies, elle a changé plusieurs fois de lieu – balcons du Grand-Palais, quai Branly, ancienne gare d’Auteuil, Espace Champerret, Bastille Design Center – et de format : de plus de cent exposants en une ou deux sessions successives, de dix jours chacune, à deux éditions annuelles d’une semaine, l’une au printemps, l’autre à l’automne, avec une vingtaine de sélectionnés pour chacune d’elles… Quelques caractéristiques du projet d’origine ont cependant perduré et se sont même renforcées dans le temps, notamment, outre le bénévolat des organisateurs, la sélection des élus parmi des centaines de dossiers de candidature, avec une visite d’atelier pour les présélectionnés afin de s’assurer de la réalité et de la pertinence des propositions faites. Certaines entreprises à caractère strictement commercial ont voulu copier ce modèle en oubliant ce point fondamental qu’est la sélection drastique des participants, en ouvrant leurs portes à quiconque était prêt à payer le prix, d’ailleurs très élevé, pour participer… Le résultat s’en ressent et la plupart des plasticiens qui ont cédé à la communication, souvent agressive, et aux promesses mensongères de leurs organisateurs ont, selon le propos de la fable juré, mais un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus.
     Deux des ingrédients essentiels au succès de notre manifestation sont pourtant en train de faire défaut et menacent sa pérennité à court terme. Le premier est l’implication d’un tout petit nombre de bénévoles qui passent une partie importante de leur temps à préparer l’organisation, visiter les ateliers, produire les documents de communication et assurer l’accueil des visiteurs, sans parler des négociations en amont pour en assurer le financement et, en aval, pour boucler des comptes en permanence à la limite du déséquilibre. Or, alors que les personnes qui assurent le bon déroulement de l’ensemble sont désormais engagées dans leur septième décennie, nous n’avons trouvé personne qui soit assez désintéressé et un peu fou pour prendre la relève. Le second, le nerf de la guerre, est le financement. Nos mécènes, au premier rang desquels le Ministère de la Culture, réduisent, d’année en année, leur contribution au point de mettre rapidement en péril notre existence. Nous ne sommes pas les seuls, nous le savons, mais constatons quand même que les arts plastiques sont, dans l’ensemble, bien plus mal lotis que les autres formes de création artistique. Il est vrai, des élus nous l’ont déclaré à plusieurs reprises : « l’art contemporain, ça fait perdre des voix aux élections… »
     Cet automne encore, les œuvres des vingt plasticiens que nous avons choisis remettent souvent en cause le consensus mou ou bien-pensant qui prévaut aujourd’hui. Elles incitent le spectateur à reconquérir sa capacité à penser par lui-même, suscitent sa curiosité, le font vaciller dans ses convictions et le forcent à ouvrir les yeux et faire fonctionner son intelligence et sa sensibilité.
     Depuis plus de six ans, macparis, c’est aussi, en collaboration avec l’association Cynorrhodon – FALDAC, la programmation et le commissariat des cinq expositions annuelles – près de trente à ce jour – de l’Espace d’art Chaillioux de Fresnes, avec plus d’une quarantaine d’artistes présentés chaque année, plus de 10 000 visiteurs annuels et un important programme de médiation avec les publics locaux, jeunes et adultes…
     Nos sessions de 2024 se tiendront, au printemps et à l’automne, mais ce seront peut-être les dernières…

Hervé Bourdin, Annick & Louis Doucet, Max Lanci
commissaires de la manifestation



Magali Asselin est venue à la photographie après être passée par le journalisme, l’animation de radio et la direction dans une entreprise de communication. Dans sa pratique photographique, comme s’il s’agissait d’un exutoire ou d’une revanche, elle fait éclater les cadres étroits de ses activités précédentes en s’affranchissant de leur obligation de coller à une certaine réalité objective ou prétendue telle, de toute finalité. De même, elle fait passer au second plan la technicité de la pratique photographique. Ce qu’elle cherche à exprimer, c’est l’atmosphère de grands espaces libres et les émotions qu’ils suscitent. Elle les saisit dans un hic et nunc qu’elle nous présente comme une vision possible d’un monde que nous rechignons à regarder, par désintérêt, par manque de temps ou par lassitude.
     Ses images se situent aux antipodes de celles des cartes postales illustrées, en ce qu’elles négligent le pittoresque et tout réalisme utilitaire ou volonté d’exhaustivité. Magali Asselin veut, selon ses propres mots, nous livrer les résultats d’un « traitement esthétique voire poétique, pour que les images et les sensations se complètent et créent l’atmosphère qu’elle veut transmettre. »
     Elles se muent en abstractions dans lesquelles les détails disparaissent au profit d’assemblages de formes géométrisées et de plages colorées, tout en nous faisant ressentir leur fragile fugacité. Le regardeur est mis à contribution pour les décrypter et en faire une interprétation individualisée qui laisse libre cours à son imaginaire.


Daniel Berkovitch se décrit comme un peintre témoin de son temps qui s’adonne à une figuration narrative. Le témoignage qu’il nous livre, c’est celui d’un spectateur impuissant d’un monde en phase de dislocation, voué à un inexorable effondrement, à des changements radicaux inévitables…. Et cependant trop prévisibles… Le caractère apocalyptique – au sens étymologique de ce mot, celui de révélation – de son travail s’appuie sur une figuration colorée, séduisante, faisant appel à des aplats monochromes, à des figures humaines dépourvues de faciès, à des répertoires de formes stéréotypées. Leur mise en scène, dans des situations insolites, joue sur un double registre : celui d’un onirisme réconfortant, voire séduisant, et celui du choc cognitif, de l’effroi, du vertige...
     Le peintre se pose ainsi en lanceur d’alerte. D’une toile à l’autre, il peut aborder le dérèglement climatique, la surconsommation, les conflits et les guerres, la bétonisation des espaces ruraux, l’extinction de certaines espèces, les mouvements migratoires, le désabusement d’une partie importante de la jeunesse… Tous sujets d’une actualité brûlante, hypothéquant gravement notre avenir, mais ne suscitant pas de réponse claire de nos sociétés… Et l’artiste de déclarer : « Ma peinture explore la fracture entre le monde d’avant et les changements radicaux à venir. […] Je suis un passeur. J’essaie très modestement, par mon propos, de réveiller l’espace d’un instant notre sidération qui ne se nomme pas, et de regarder l’évolution du monde. »


Pauline Bétin travaille la pâte de verre. De façon assez paradoxale pour un matériau n’existant pas à l’état naturel, elle en use, combiné à de la sérigraphie et à quelques éléments végétaux, notamment du bois brûlé, pour constituer des paysages, aux dimensions certes réduites, qui évoquent la vastitude des zones de lisière entre les espaces urbains et ruraux.
     Ses constructions jouent sur de multiples oppositions : la translucidité du verre pour matérialiser le béton opaque des immeubles, la planéité de plans sérigraphiés pour habiller la surface de volumes très présents, la fragilité apparente du verre pour figurer la solidité de bâtiments destinés à résister aux intempéries, la compacité d’ensembles urbains pour enserrer et contenir l’expansion d’espaces végétalisés… On peut aussi y voir la confrontation entre les constructions censément raisonnées de l’homme et la spontanéité souvent considérée comme irrationnelle de la Nature, entre le verre filtrant la lumière et la photographie qui la capte, entre des images planes et des volumes massifs… Et bien d’autres encore…
     De son travail le plus récent, Pauline Bétin écrit : « Je m’intéresse plus particulièrement aujourd’hui aux fragments : fragments du temps avec ces ruines qui interrogent notre réalité présente entre patrimoine et ruine anticipée, mais également fragments de territoire en construction avec ces chantiers qui remettent en question l’homme bâtisseur érigeant toujours davantage en s’appropriant la nature. Mes sculptures sont toujours en rapport avec les éléments du paysage qui m’entoure. Je construis un monde utopique où: architectures et végétaux dialoguent dans un temps suspendu, figé dans l’image et le verre. »


Les peintures de Philippe Bluzot traitent du quotidien, du banal, de l’ordinaire, que ce soient des scènes de rue, des intérieurs, des souvenirs familiaux ou de vacances, des scènes intimistes, des natures mortes ou des portraits. Il s’intéresse à ces petits événements – ou non-événements – de la vie quotidienne qui lui servent de prétextes pour construire ses tableaux. Pour ce faire, il part d’enregistrements photographiques ou de vidéos, dont il extrait et recompose des fragments, lesquels serviront de point de départ à des séries de variations, au sens musical de ce terme, la même composition de base, avec de légères modifications, pouvant donner naissance à des œuvres portant des propos très différents.
     Pour autant, on ne peut pas parler, chez Philippe Bluzot, d’hyperréalisme car les éclairages, nocturnes ou crépusculaires, dont il nimbe ses toiles leur confèrent une inquiétante étrangeté qui, chez le spectateur, prime sur l’appréciation de la minutie technique du rendu pictural. À sa façon, il essaie de mettre en évidence l’écart entre la réalité des choses matérielles, leur perception et ce que l’on pense ce qu’elles sont. Il s’exprime à ce sujet : « La peinture à l’huile, mon médium de prédilection, me permet de manifester le trouble du réel, en ce sens que ce que l’on a sous les yeux n’est jamais ce que l’on imagine. Cela passe par la (re)construction d’un espace sensible où: l’intervention de la main, l’emploi des pigments, la composition, les valeurs, la lumière, les recherches de matière sont autant de questionnements, de champs d’investigation sur les apparences du monde dans lequel on baigne. »


Gaëlle Bosser récuse la dénomination de plasticienne et se dit artiste. Elle déclare : « Mon médium est la sensation. Je procède par assemblages. La diversité des matériaux – textiles, bois, verre, objets improbables détournés de leur usage ordinaire – caractérise ma pratique. Je laisse le corps et les lieux parler. La pensée peut s’absorber dans la soie, les fils, les écheveaux, les branches, les galets, les bribes d’Histoire de l’Art qui remontent à la surface. J’attends que resurgissent, des étoffes, des os, des muscles, du jardin, de la forêt, de la plage, le souvenir de mythologies intimes. »
     Son processus s’appuie sur des assemblages, des greffes, des boutures et des accumulations d’objets qui, pas plus que la machine à coudre et le parapluie sur une table de dissection de Lautréamont, n’auraient la moindre chance de se rencontrer dans la vraie vie. Ses compositions, ni abstraites ni figuratives, font souvent allusion au corps et à ses organes internes. L’artiste se laisse guider par les matériaux qu’elle a collectés, lesquels suggèrent des images à sa conscience, sans le moindre rapport avec leurs usages initiaux. C’est une forme d’intériorité, très fantasmée, qui finit par s’imposer à travers la combinaison d’un riche imaginaire personnel, nourri d’une connaissance approfondie de l’Histoire de l’art, et d’objets délaissés qui, eux aussi, portent un passé et des récits latents qu’elle tente de faire ressurgir.
     Le fréquent recours au textile ne catégorise cependant pas ses œuvres dans la rubrique des travaux de dames, pas plus que ceux de Louise Bourgeois, un de ses modèles revendiqués. Leur hybridité leur confère un caractère universel dans lequel chaque regardeur – homme ou femme, jeune ou vieux – pourra projeter son acquis personnel et développer une narration qui lui est propre.


Professionnel du cinéma d’animation, Ferdinand Boutard est entré en peinture comme on entre en religion. Grand admirateur des peintres classiques, notamment du Caravage, de Velázquez, Vermeer, Egon Schiele et Norman Rockwell, il a conservé de ces modèles anciens la pratique, désormais désuète, de la peinture à l’huile sur panneau de bois. Sa gageure est de remettre un certain classicisme au goût du jour en réconciliant humour, rigueur et perfection technique. On se souvient de ses relectures des classiques actualisés à la mode de notre temps (la Buveuse d’absinthe de Degas consultant son ordinateur portable), de la vision de jeunes femmes faisant un arrêt-pipi, de nuit, en bordure de route, dans le faisceau lumineux des phares de leur voiture, ou de la relecture contemporaine de l’aventure du Petit chaperon rouge de Charles Perrault, transposée dans le contexte d’une banlieue de grande métropole, hantée par l’insécurité.
     Dans son monument le plus récent, La papesse Jeanne, un panneau en deux parties de plus de trois mètres de largeur, il relit la légende de cette mystificatrice du IXe siècle, arrivée sur le trône pontifical bien que femme et dont l’imposture n’aurait été révélée que quand elle aurait accouché en public lors d’une procession de la Fête-Dieu. La foule l’aurait alors lapidée sur place. Ferdinand Boutard décrit la scène, grouillant de personnages aux attitudes les plus diverses, devant la façade quelque peu anamorphosée de l’église Saint-Merry, près du Centre Pompidou, avec des protagonistes vêtus à la mode de la fin du XIXe siècle.


Longtemps active dans le monde de la mode, Florence Brodard s’est tournée, depuis quelques années, vers la création plastique. Tout d’abord avec des grands dessins au pastel gras sur papier, peuplés de créatures incertaines dont les formes amiboïdes déjouent toute tentative de fixation d’une échelle : microcosme ou macrocosme ? Ce sont les reflets spéculaires d’un univers ancré dans l’inconscient, des incarnations graphiques d’un lent processus d’émergence instinctive de formes probablement refoulées. Même si la démarche en est radicalement différente, profondément individuelle – individualiste, même – ces dessins peuvent faire penser aux cadavres exquis des surréalistes. Le résultat, loin de toute grandiloquence ou de tout drame, est à la fois spontané et mûri, naïf et expressif, gai et dérangeant…
     Plus récemment, Florence Brodard a abordé la troisième dimension avec des formes sculptées tricotées, dont certaines peuvent être de très grandes dimensions. Dans ces pièces, elle privilégie des formes simples, colorées, souvent dotées d’un ou plusieurs axes de symétrie. La plupart sont creuses et se comportent comme des vêtements improbables pour des êtres nés de son imagination. Leur aspect est monstrueux mais leur traitement chromatique, loin de susciter la frayeur, engendre de l’empathie chez leur observateur. Lequel est incité à se projeter dans leur intérieur pour en faire sa demeure, provisoire ou définitive, à l’abri de la fureur du monde. On peut, bien entendu, penser au monde de l’enfance et à ses jouets mais c’est aussi, plus certainement, à un stade prénatal, fœtal, que certaines de ces œuvres nous renvoient.


Les laisses de mer, c’est tout ce que le va-et-vient des marées dépose en haut des plages. Ces amas qui dessinent de longues lignes hésitantes sur l’estran, Maëlle de Coux les aborde d’abord comme une source d’inspiration et d’interrogation. Et, spontanément, les laisses deviennent un support matériel à son travail qu’elle conjugue à sa pratique de la broderie bigoudène. Dans ses Laisses, elle assemble les fragments de matières et les algues trouvés sur le rivage pour composer des paysages oniriques faits de couleurs délavées et de formes sensorielles. Ce n’est pas seulement une mise à l’honneur de la richesse sous-marine, c’est aussi une mise en poésie. De la mer, l’artiste cherche à nous faire ressentir la tactilité ou, comme elle l’explique, la variété des « formes, des matières, des couleurs, des odeurs et des goûts. »
     Ailleurs, dans ses Lignes d’horizon, une ligne allongée et initiale, presque immatérielle, quasiment soluble, semble avoir été filée par le regard porté au loin. Ce regard qui doute, ce pourrait être celui du marin ou du gardien de phare. Pour cette série, réalisée pendant le confinement qui l’a tenue écartée du bord de mer, Maëlle de Coux a travaillé à partir d’images collectées par des webcams du monde entier. Brodant point par point l’horizon multiple, elle tente de nous faire appréhender son caractère changeant, son évanescence, l’influence du temps et de l’heure sur son apparence.
     Dans ses Collerettes brodées, enfin, les laminaires prennent la place du tulle pour former des fraises, des tours de cou, des colliers et autres apparats. À sa façon, Maëlle de Coux donne à ces algues délaissées une allure de haute couture dont le résultat oscille entre élégance et monstruosité. Dans l’ensemble de son travail, elle interpelle doucement le spectateur, le confronte à sa propre histoire, afin d’en faire un compagnon de plongée. Ensemble, ils explorent les abysses du rêve et de l’imaginaire.


Illusion et allusion… Ingénuité suggérée et perversité latente… Tendresse et assurance… Translucidité de la texture et opacité du sens… Légèreté et densité… Douceur et étrangeté… Attendrissement et férocité… Plénitude et vacuité… Équilibre et instabilité… Telles sont quelques-unes des oppositions dialectiques qui irriguent et innervent les travaux de Stéphane Dauthuille
     Ses compositions racontent évidemment des histoires domestiques, intimes, mais la clé de lecture n’en est jamais livrée. À chacun de les interpréter à sa façon, de se livrer à un jeu de cache-cache ou de colin-maillard mental à la recherche d’une réalité fuyante, d’une certitude qui demeurera toujours inaccessible, d’y projeter ses rêves ou ses fantasmes, d’en faire la base de sa propre réflexion, bien au-delà de ce qui est simplement et presque naïvement donné à voir…
     Peut-être est-ce, chez ce Breton, à une sorte de navigation mentale au sein d’archipels oniriques que nous sommes conviés, là où:, comme le déclarait André Breton dans son Second Manifeste du surréalisme, « la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et l’avenir, le haut et le bas, le communicable et l’incommunicable cesseront d’être perçus contradictoirement. » L’artiste ne déclare-t-il pas : « Mon but est d’inviter l’œil et l’esprit à un vagabondage poétique dans des mondes imaginaires aux sens et aux chemins multiples, où: la liberté de créer rejoint la liberté de voir. »


Valerio Fasciani, restaurateur de peintures de son métier, a participé à de nombreux chantiers de réhabilitation de monuments historiques, en France et en Italie. Ces activités lui ont permis de s’imprégner des techniques et des thèmes d’un grand nombre d’artistes couvrant plusieurs siècles de création. Depuis quelques années, il développe sa propre pratique picturale, usant d’un large spectre de techniques : peinture, sculpture, photographie, installation… Pour autant, ses préoccupations n’ont rien de passéiste mais sont résolument ancrées dans notre temps, avec une prédilection pour les sujets en rapport avec la liberté individuelle ou collective.
     Ainsi, l’imposant Icare – L’Annonciation fait référence à un jeune immigré africain, débarqué à Lampedusa puis arrivé à Paris. Il est figuré en position fœtale pour évoquer la renaissance que représente pour lui le terme de son voyage, pourtant peuplé d’embûches. Son aile multicolore, qui contraste avec le noir et blanc du reste de la composition, est une copie fidèle de celle de l’ange de l’Annonciation d’une fresque de Frà Angelico, promesse d’un avenir meilleur.
     Ailleurs, sa série des Self Portraits est constituée d’installations en forme de cages. Elles emprisonnent la figure de l’artiste – adulte ou retombant en enfance –, lequel peine à s’en extraire et/ou se résigne à y rester. Ces prisons, ces barreaux apparemment fragiles, qui pourraient être aisément franchis, ne sont pas seulement ceux d’une peine infligée par un tiers ou par la Société mais aussi ceux que l’Homme s’impose à lui-même, la limite qu’il fixe, de son plein gré, à sa propre liberté…


La démarche de Clara Gallet s’apparente à celle des scientifiques, du type de celle des anthropologues. Elle s’appuie sur des recherches sur le terrain, des observations, des prélèvements, leur examen et leur restitution. Telle une archéologue du contemporain, elle s’intéresse à des environnements délaissés, abandonnés, à d’anciens lieux de production industrielle désaffectés. Elle en considère et analyse les mutations, les dégradations plus ou moins rapides, mais aussi les diverses formes de vie ou d’usage qui renaissent de leurs décombres. Ses installations rendent compte de ses travaux de prospection, confrontant des sculptures et des photographies pour nous offrir selon ses propos, un regard sur les grincements d’un monde en perpétuel mouvement.
     D’un de ces lieux en suspension, qui ont perdu leur fonction et revivent sous une autre forme, elle déclare : « Durant des siècles, le bassin carrier de l’Oise a fourni des pierres pour construire et rénover des bâtiments parisiens. Je suis allée à la rencontre d’une ancienne carrière souterraine de l’Oise dont l’exploitation a cessé en 2020. La fin de cette activité d’extraction a permis le développement d’une végétation luxuriante aux abords des cavités. On y trouve notamment des fougères scolopendres, plantes qui apprécient l’ombre et les sols calcaires. Elles poussent parfois directement sur les blocs rocheux excavés. Sous terre, les parois rocheuses sont marquées de différentes textures. Ces traces, empreintes d’outils dans la roche témoignent des techniques d’extraction du calcaire. Cet état du site est temporaire : les cavités seront bientôt remplies de gravats provenant de chantiers de la région parisienne. […] J’y ai prélevé des blocs de calcaire, j’ai photographié les cavités souterraines, les textures visibles sur leurs parois et les végétaux qui prospèrent aux entrées des galeries. Assemblés, taillés et retravaillés ces éléments, fragments de roche et photographies, constituent l’installation Extraction. »


De sa démarche, Franck Guedj déclare : « Je pratique l’exploration du monde de l’image depuis mon plus jeune âge. Passionné de nature, de sport et de voyage, cela m’a permis de rencontrer des hommes et des femmes d’exception. J’ai alors croisé le chemin de la photographie et de la réalisation de films, comme une suite logique de ma passion pour la capture d’émotions, d’actions, et de sensations. Derrière chacune de mes photos il y a une aventure, une exploration, un message et des kilomètres parcourus pour vous révéler un cliché d’un monde en perpétuel mouvement. »
     Franck Guedj a fondé, à l’âge de 24 ans sa société multimédia spécialisée dans la création de sites Internet, de films d’animation, de projets multimédia, de films institutionnels et de reportages pour le groupe Canal Plus.
     Passionné de photographie, de vidéo, d’infographie, de rigging et d’intégration informatique, il se consacre, depuis 2016, entièrement à ses premières amours, la photographie et le cinéma. Le dérèglement climatique est très présent dans ses travaux récents, que ce soit dans les visions apocalyptiques du Sacré-Cœur de Montmartre, de la Tour Eiffel et du quartier de Ginza à Tokyo sur le point d’être submergés par les flots. Ou bien encore, non sans une ironie grinçante, cette carcasse de véhicule à moteur thermique, suspendue dans les airs, présentée comme la relique d’un temps révolu. De tous ces travaux, il ressort un sentiment d’étrangeté, comique au premier abord, mais inquiétant dès que l’on veut bien se donner la peine de s’y arrêter et de réfléchir. Ne serait-ce pas, ici, une des fonctions essentielles d’un art qui se veut attentif aux réalités de son temps ?


Depuis plusieurs années, Fabienne Houzé-Ricard dessine ou peint des nids et des oiseaux morts. Les deux extrémités d’un cycle de vie… Après nous avoir livré, en 2016, une série d’oiseaux morts, saisis avec un réalisme stupéfiant, elle est de retour et nous propose, en parallèle avec des portraits d’oiseaux, de revenir aux sources avec un ensemble de nids. Ceux-ci, produits d’un savant entrelacement de traits nerveux, semblent révéler les affres du premier acte d’une inéluctable tragédie, celle du cycle de la vie et de la mort. Ils sont souvent de très grandes dimensions, résultant de gestes, quasi obsessionnels, de tressage et de tuilage qui rappellent ceux de l’oiseau construisant son chez-soi.
     On peut voir, dans cette lente stratification de lignes ou de petites surfaces créant un volume creux en réserve, une métaphore du processus mémoriel. Mais aussi de la lente élaboration de la personnalité et de l’identité, aussi diversifiées d’un individu à l’autre que le sont les formes et les structures des différents nids que l’artiste nous propose. Certains se voient dotés d’improbables racines, comme pour les ancrer dans une réalité qui leur fournit la capacité de croître et de se développer de façon autonome. On peut imaginer que, dans ces petites demeures apparemment inviolables, se pratique un culte domestique, très certainement celui de la propagation de la vie. Elles évoquent aussi un territoire d’importance vitale qui doit être défendu coûte que coûte, un refuge pour des espèces en danger, en voie d’extinction… Il y a un peu de tout cela dans les dessins que Fabienne Houzé-Ricard nous donne à voir et, probablement, aussi beaucoup d’autres choses à découvrir.


Jaky La Brune, diplômée de l’École des Gobelins, a fait ses premières armes dans le monde de l’art underground. Elle découvre la peinture en réalisant des pochettes d’album. Elle définit son travail comme étant un exutoire vital qu’elle exprime par la peinture, la sculpture, la performance et la vidéo. Son inspiration plonge ses racines dans sa propre expérience de la vie, dans ses tourments et dans ses interrogations. On pourrait parler d’une forme d’auto-psychanalyse par le biais de ses productions plastiques.
     Ses thématiques de prédilection sont la violence du sexe, les déchirements de la passion amoureuse, les troubles de l’identité et, plus généralement, les émotions humaines, notamment les rapports plus ou moins inhibés de la douleur et de la sensualité. Les sujets convulsés et les couleurs criardes de ses toiles renvoient aux œuvres des artistes du groupe CoBrA, notamment à celles d’Asger Jorn.
     D’aucuns pourraient faire un parallèle avec les productions de l’art brut ou singulier des naïfs mais il n’en est rien. En effet, ses compositions, son registre chromatique et ses figurations d’anatomies déformées, malgré leurs excès, témoignent d’une connaissance approfondie de l’histoire de l’art, des primitifs à nos jours. On y retrouvera, d’ailleurs, des références religieuses, chamaniques ou littéraires... Plus du côté de Rabelais que de la comtesse de Ségur !
     Jaky La Brune crée aussi des masques, des poupées, des sculptures, des costumes dont elle peut, à l’occasion, se revêtir. Dans ces œuvres, tout comme dans ses peintures, s’exprime un panthéisme rebelle et libertaire explorant un monde imaginaire toujours ouvert et prêt à absorber – à phagocyter, pourrait-on dire – tout ce qui s’en approche… Y compris le spectateur…


Marie Lavault dessine. Diplômée d’Histoire de l’Art Contemporain, elle est autodidacte dans sa pratique des arts plastiques. Son univers est peuplé de formes qui hybrident diverses manifestations de vie, donnant naissance à d’étranges créatures polymorphes, improbables mais dans lesquelles on perçoit une urgence vitale.
     La notion d’échelle est subvertie. Microcosme et macrocosme s’interpénètrent. Le spectateur peut, indifféremment, imaginer qu’il est confronté à des vues microscopiques d’un bouillon de culture, à des fragments anatomiques, à des échantillons botaniques ou à des images télescopiques de galaxies lointaines. De même, un doute est savamment entretenu entre les notions d’intérieur et d’extérieur, d’entrailles et de surface, d’imagination et d’observation de la réalité… Le tout avec une évidente touche d’onirisme. L’artiste ne déclare-t-elle pas : « Le dessin est pour moi le moyen de révéler l’existence des formes abondantes et facétieuses qui peuplent mon monde intérieur. »
     Plus généralement, chez Marie Lavault, tout est question d’interactions et de liens entre différents milieux de vie. En cela, sa démarche peut être qualifiée d’écologique. Ses matériaux sont d’ailleurs, dans un souci d’économie, issus du réemploi ou de matières renouvelables. Ses compositions, souvent sérielles, traduisent de façon plastique certains modèles de développement d’êtres vivants et leur capacité d’adaptation, de reconfiguration face à un environnement changeant devenu, trop souvent, en déséquilibre.


Hélène Néraud, peut être considérée comme une peintre qui aurait réussi à libérer la peinture de son châssis, de son plan, de sa surface, pour la faire se développer dans l’espace. Chez elle, la matière devient support, une enveloppe aux aspects changeants, ouverte aux regards et aux interprétations du spectateur. Les références au paysage, notamment de montagne, imprègnent ses œuvres, plus dans leur verticalité que dans l’horizontalité généralement associée à ces productions.
     Il faut dire qu’Hélène Néraud est une fervente alpiniste fascinée par les abrupts et les parois qui semblent inaccessibles au néophyte. Pour elle, ses sculptures sont des « réponses intuitives aux questionnements qui naissent lors des confrontations avec ces immensités verticales. […] Une recherche de reconnaissance, une tentative de mise au point et d’un éclairage sur une exploration presque mystique des territoires de grande solitude. »
     Cependant, de façon paradoxale, là où: l’on s’attendrait à trouver des blancs neigeux et des gris minéraux, ce sont les couleurs qui explosent. L’artiste évoque une solidification du souvenir. Certes, la terre cuite émaillée stabilise les formes et la matière naturellement labile, mais la couleur, au-delà de son pouvoir d’attraction, génère des impulsions qui donnent vie à l’inerte, créent des espaces mentaux qui préludent à une prise de conscience d’une présence plastique. Selon les propos de la plasticienne, le paysage est « source de notre existence, le lieu où: l’on se construit. »


Les grandes toiles d’Alexandre Petrovski Darmon figurent des personnages ou des paysages souvent empruntés à la peinture ancienne ou faisant référence à la mythologie ou à l’utopie d’une Arcadie définitivement perdue. Mais ces sujets sont défigurés par un traitement apparemment violent, certainement très gestuel, qui vise à en dissoudre les formes, au point, le plus souvent, de les rendre quasiment méconnaissables en première lecture.
     Le peintre considère que ses œuvres sont des pièges à regard, des camouflages, des labyrinthes dans lesquels le spectateur, au-delà d’une surprise initiale, est invité à se perdre. Son objectif avoué est de subvertir les modes habituels de la sensation visuelle de susciter une errance perceptive qui mène à ce qu’il désigne comme une décohérence de sa réalité.
     Il en résulte des univers en tension permanente entre des oppositions dialectiques apparemment irréconciliables : figuration-abstraction, ancien-moderne, antique-contemporain, réalité-fiction, réalisme-expressionnisme, présence-absence, vrai-faux, calme-agitation, cohérence-confusion, ordre-chaos, flou-précision, statique-dynamique, narration-affabulation… Et bien d’autres encore… Ces écartèlements sensoriels et cognitifs donnent une immense richesse à ses œuvres qui, selon ses propres mots, veulent « deviser de nouveaux simulacres qui viendront s’ajouter à la réalité du spectateur. »


Le travail de Sébastien Pons, artiste à la production polymorphe – dessin, sculpture, céramique, photographie, scénographie… – s’organise autour d’un questionnement sur les notions de vide, d’absence, de manque. Un grand nombre de ses œuvres figurent des crânes humains, avec, assez souvent, une focalisation sur les arcades sourcilières et la cavité des orbites. Pour lui, ce sont des marqueurs symboliques du passage du temps qui préservent la structure cachée quand la surface a disparu. Bien au-delà du traditionnel memento mori, Sébastien Pons part de ces données pour développer une réflexion très platonicienne sur l’immutabilité des concepts, notions ou idées et le caractère périssable de leur matérialisation en réalités sensibles. Le tout en faisant de multiples références à l’histoire de la peinture, de ses origines à nos jours.
     Ainsi, de sa grande Fraise en résine acrylique, pigments, bois et tulle, il déclare : « La fraise est un col de lingerie, placée autour du cou. Cette pièce de costume théâtralise la face et met au second plan le corps vêtu. Traitée comme un élément fossilisé, blanc et sec, ma fraise est posée sur un valet en bois. La collerette figée dans sa pesanteur témoigne du torse et de la tête absente. À l’arrière-plan le jeu diaphane et coloré des tulles ramène l’ensemble à une citation, celle du portrait dans la peinture de l’âge d’or hollandais. La sculpture, elle, travaille la verticalité : le valet, la fraise, le vide et l’absence. »


Pour Patrick Santoni, chaque tableau est un questionnement, une recherche sur la compréhension du monde par l’utilisation de notre rapport au paysage. Sa technique, réaliste, procède par aplats colorés de couleurs chaleureuses, dans un esprit raffiné et séduisant qui rappelle celui des toiles de la Figuration narrative ou de David Hockney. Mais la comparaison s’arrête ici. Au lieu de décrire un monde idyllique ou féérique, Patrick Santoni essaie de nous sensibiliser à ce qu’il perçoit comme les profondes incohérences de notre société. En cela, son propos apparemment ludique et apaisant est, en fait, un violent réquisitoire contre des pratiques que nous jugeons normales, voire saines, et vise à remettre en question les convictions du spectateur. À cette fin, il juxtapose, dans ses compositions, de façon directe ou juste suggérée, des images appartenant à des univers disjoints. Il en résulte une très freudienne Unheimlichkeit, une inquiétante étrangeté
     De sa série Pool with, il écrit : « C’est une série de piscines, débutée en 2021, directement inspirée des piscines de David Hockney. Les piscines de David Hockney des années 60 et 70 incarnent l’hédonisme, la joie de vivre, l’homosexualité et peut-être l’espoir. Aujourd’hui, leur sens me semble différent à cause de notre époque, des rapports du GIEC… Même si elles incarnent encore un certain hédonisme, elles véhiculent une image d’égoïsme. Elles symbolisent l’accès et surtout le non-accès à l’eau. Mes piscines sont des symboles de notre comportement humain. Ce sont des idées de piscines, imaginaires, placées dans des lieux improbables. Ces piscines sont des flaques d’eau, des bassins, des mares, des puits… Je participe aux dérives humaines que j’expose à travers mon travail : je suis acteur et coupable. Nous créons un monde où: beaucoup auront des piscines indésirables et d’autres auront des puits asséchés. »


Vogel Apacheta est née à La Paz, en Bolivie, donc à 3 600 mètres d’altitude. Sa peinture, vivement colorée, joyeuse et animée doit évidemment à ces origines latino-américaines et à l’atmosphère quelque peu raréfiée des hauteurs andines. On y retrouve le chaud et le froid des couleurs de son enfance, entre soleil et glaciers, mais revus à l’aune d’une expression qui s’infléchit lors de sa rencontre avec les grands peintres occidentaux, découverts, autrement que par les reproductions dans des livres, assez tardivement dans sa formation, conclue en France, au Mans et à Berlin.
     L’artiste, qui aimait, dans son adolescence, se définir comme une mythomane, invente et raconte des histoires, mêlant réalité et imagination, dans lesquelles elle est partie prenante, voire le personnage principal. Il en résulte de grandes toiles libres, peintes au sol de son atelier, qui, comme chez Joan Mitchell, n’entrent dans aucune des classifications préétablies par les manuels – toujours simplistes – d’histoire de l’art. Elle n’est ni abstraite, ni figurative...
     Narrative, sans aucun doute, mais d’histoires dont elle seule connaît la trame et qu’elle ne nous livre que par bribes, par indices souvent indiscernables, laissant le regardeur construire ses propres scénarios, devenir mythomane à son tour… L’exercice peut, selon les propos de l’artiste, se muer en outil de découverte du monde, d’éprouver le réel de nos sociétés, de réfléchir à son avenir ou à sa non-existence, déclare-t-elle. Et d’ajouter : « Je suis curieuse de voir habiter l’individu dans son espace, son environnement avec ses perturbations du quotidien et ses mystères. Je pense qu’il y a une agitation poétique qui se crée entre les surfaces réelles et invisibles, ces espaces que l’on traverse sans s’en apercevoir, nous transformant et nous remplissant d’une mémoire. »