Contribution à une exposition






Sebastien Dartout – Plier et recouvrir

Dans la fameuse Verb list (1967-1968) de Richard Serra figurent les verbes to fold et to cover : plier et recouvrir. Ce sont les deux actions que combine, depuis quelques années, Sebastien Dartout, pour la production de ses œuvres – des peintures, à défaut de terme plus pertinent – dont le procédé de production s’apparente à la méticuleuse précision de l’orfèvre ou de l’enlumineur de manuscrits médiévaux.

     Jusqu’à une date récente, l’artiste utilisait, comme supports, des petites fiches de bristol quadrillées, de format A5, A6 ou A7. Il s’est intéressé, ensuite, à des papiers forts, plus résilients au processus de pliage, puis, très récemment à la toile, laissée libre ou montée sur châssis, recourant au fer à repasser pour assurer la pérennité des plis.

     Quel que soit le substrat, il lui applique d’abord une couche de couleur en apprêt, de façon à en densifier la texture. Viennent ensuite des opérations de pliage puis de dépliage, horizontalement et verticalement, ces manipulations étant répétées à espacement constant, sur toute la surface de la feuille. Il en résulte des petites surfaces rectangulaires, comme des alvéoles ou des traces de gaufrage, circonscrites par un léger liseré en relief à l’endroit des pliures. Sebastien Dartout peint alors uniformément en blanc les supports remis à plat, masquant ainsi la couleur d’apprêt et faisant ressortir les ourlets qui délimitent chacune des cellules. Dans un deuxième temps, il repeint minutieusement et parcimonieusement, en vert ou en rouge, quelques-uns des rectangles élémentaires pour produire des motifs géométriques qui affectent la forme de lettres majuscules, entières ou tronquées, droites, couchées ou renversées. Pour conclure, il juxtapose plusieurs de ces pièces, dont une majorité sans intervention colorée, pour constituer de longs polyptiques, en ligne ou en angle, majestueux dans leur architecture, mais modestes dans leurs dimensions, à la mesure de l’atelier de l’artiste qui se réduit aux deux mètres carrés de sa table de travail.

     Il y a, de façon évidente, une parenté des productions de notre artiste avec les Tableaux-Reliefs de Gottfried Honegger, mais, à l’opposé de son aîné, Sebastien Dartout se place dans un registre qui est celui de l’intime, pour ne pas dire de la miniature. Ceci ne veut pas dire qu’il leur manque une forme de monumentalité. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de ces œuvres que de suggérer un infini alors qu’elles ne dépassent que très rarement un mètre dans leur plus grande dimension et une dizaine de centimètres dans la plus petite.

     Notons aussi une forme d’ascèse dans le choix des couleurs : un peu de vert et de rouge purs, très chichement posés en aplats géométriques sur le quadrillage blanc du fond, en épousant strictement ses contours, pour former des signes dont le sens nous échappe. Comme si l’artiste, à l’instar d’un Robert Ryman, voulait traduire la réalité extérieure d’un monde complexe et trop souvent insaisissable, en n’en conservant que des détails insignifiants, des fragments de motifs, pour ressusciter, sur ces bases, des rythmes primordiaux, sous-jacents, pour en révéler et exacerber une essence qui ne procède que de la seule nécessité intérieure de l’artiste

     Le processus de couverture d’un quadrillage préexistant, la minutie et la lenteur réfléchie d’un labeur quotidien, la volonté d’entraîner le regardeur dans le vertige de sortes de pièges à regard caractérise aussi la démarche de Sebastien Dartout dont les travaux, malgré le commun recours aux seuls blanc, rouge et vert n’ont rien à voir avec la démarche d’un Jean-Pierre Raynaud, pas plus que le résultat de pliages et de dépliages n’évoque Simon Hantaï.

     Le rigorisme cistercien de Sebastien Dartout emprunte, consciemment ou non, beaucoup au passé, mais se distingue de ses modèles anciens en récusant toute velléité de représentation et tout effet plastique… Et c’est en cela qu’il nous fascine et nous interpelle…

     Pendant tout le mois d’août, la Galerie Bernard Jordan ouvre ses portes à l’artiste pour y exposer ses travaux mais aussi pour y transférer son atelier et lui permettre de créer – les portes ouvertes – une œuvre de plus grandes dimensions… Un double challenge pour l’artiste…

Louis Doucet, juillet 2020