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Qu’est-ce
qu’un mythe ? Barthes apporte sa réponse : « le mythe est une parole
[…] le mythe est un système de communication, c’est un message. »[1]
Un mythe est un récit explicatif, fondateur d’une pratique sociale. L’image,
l’iconographie, contribuent à sa survie et à sa propagation. Issu d’une
tradition essentiellement orale, il tente d’expliquer et de rationaliser les
aspects fondamentaux de la culture qui l’a adopté. Cette rationalisation peut
passer par le recours à des personnages fabuleux et à des faits surnaturels,
supputer l’existence d’autres mondes… Les mythes diffèrent d’une culture à
l’autre, mais certains archétypes se retrouvent dans des mythes développés dans
des contextes qui peuvent être très éloignés dans le temps et dans l’espace.
Les mythes traitent de questions que se posent les sociétés qui les véhiculent.
Ils sont fortement imbriqués avec leur structure religieuse, leur organisation
sociale, leur cosmogonie. Les mythes constituent, en quelque sorte, un miroir
sublimant les réalités d’une société. Les
mythes ne sont pas nécessairement anciens. Certains récits modernes en ont
toutes les caractéristiques. Georges Sorel[2] en a
analysé l’émergence, notamment dans les événements de la Révolution française et
dans les grèves ouvrières de la fin du XIXe siècle. Pendant le XXe siècle, le
mythe de la Nation a nourri les propagandes fascistes. Plus près de nous,
certains mythes justifient des manipulations à caractère plus commercial. Notre
propos ici est un peu différent. Nous avons commencé par choisir douze mythes –
ou familles de mythes – antiques, modernes ou contemporains. Dans une deuxième
phase, nous avons sélectionné, principalement parmi les œuvres de la collection
Cynorrhodon – FALDAC, des œuvres d’artistes contemporains illustrant ou
réinterprétant ces mythes. Nous avons ensuite, dans une troisième étape,
demandé à Gilles Guias, peintre et plasticien né en 1965, de nous livrer sa
propre interprétation du mythe et de la lecture qu’en ont fait ses confrères. Le
processus est donc celui d’une mise en abîme à plusieurs étages. Le mythe est
le miroir d’une culture ou d’une société. Des documents, écrits ou plastiques,
archéologiques ou récents, nous en donnent une figuration ou une
interprétation. Les artistes contemporains que nous avons choisis nous livrent,
à leur tour, leur relecture de ces documents. Enfin Gilles Guias intervient
et réinterprète cet ensemble dans un système que nous avons voulu
normatif : même format, même technique, même temporalité de création et de
présentation, car les œuvres ont été spécialement conçues pour ce projet. Notre proposition met
donc en scène cinq familles d’acteurs : les sociétés, les mythes
qui les reflètent, les documents qui en témoignent, les artistes contemporains qui
les relisent et Gilles Guias qui les réinterprète. Mais cette mise en abîme
autorise aussi de nombreux courts-circuits. Ainsi, Gilles Guias peut
s’appuyer sur les œuvres picturales de ses contemporains, mais aussi aller
directement aux documents, au mythe ou à la société qui l’a fait naître. De
même, les artistes contemporains relisent le mythe à travers des documents,
mais ils peuvent aussi attaquer directement le mythe, voire la société dont il
est issu. Ce sont ces multiples niveaux d’accès à une réalité sociétale qui
donnent de la saveur à l’exercice et l’empêchent de sombrer dans une pratique
qui pourrait vite devenir stérile. Le graphique ci-dessous résume les
différents types d’interactions qui se nouent au sein de ce projet. Pour être complet, ce schéma devrait intégrer
le spectateur, à qui est aussi laissé le choix d’aborder la société concernée
par les visions qu’en donnent Gilles Guias, les artistes contemporains, ses
documents ou ses mythes. Il a aussi la liberté de laisser libre cours à son
imagination. Il
est donc, ici, question de polysémie, de cette caractéristique essentielle de
l’art, et plus singulièrement de celui de notre temps, qui en fait une arme de
destruction massive des dictatures de la pensée unique, un rempart contre
l’uniformisation et le conditionnement de la part la plus précieuse de notre
humanité. 1. Marsyas Selon la mythologie grecque,
Athéna inventa l’aulos, une
sorte de flûte à anches. Elle le jeta quand elle se rendit compte que les
efforts faits pour en jouer déformaient son visage et en altéraient la beauté.
Le satyre Marsyas s’en saisit et en devient rapidement un virtuose. Sûr de son
jeu, il défie le dieu Apollon, le maître de la lyre. Le concours est présidé
par les Muses et par le roi Midas. Apollon est déclaré vainqueur et, pour punir Marsyas de sa
démesure – de son ϋβρις[3] –, il le fait écorcher et jeter
sa dépouille dans une grotte d’où coulera une rivière qui prendra le nom de la
victime. Ovide décrit les souffrances de
l’écorché vif au livre 6 de ses Métamorphoses : « Pourquoi me
déchirer ? s’écriait-il. Ah ! que je me repens de mon audace ;
Ah ! fallait-il que la flûte me coûtât si cher ! Il crie, et la peau
qui couvre ses membres est arrachée ; tout son corps n’est bientôt qu’une
plaie, le sang coule de toutes parts, ses nerfs sont mis à nu ; on peut
voir le mouvement de ses veines que la peau ne cache plus, l’œil peut compter
ses entrailles et ses fibres transparentes. Les faunes, divinités des champs et
des forêts, les satyres, ses frères, Olympe, déjà célèbre, et les nymphes,
mêlèrent leurs larmes à celles de tous les bergers qui font paître sur ces
montagnes les brebis à l’épaisse toison, et les bœufs aux cornes
menaçantes. » Métaphore transparente de
l’artiste écorché vif – au sens figuré – mais aussi critique de la démesure et
de l’ego du créateur, ce mythe a inspiré bien des artistes dès l’antiquité. La
figuration habituelle, comme dans le groupe de marbre conservé au Louvre,
présente le satyre pendu par les pieds, le long du tronc d’un arbre, Apollon
s’affairant à entailler sa peau. Le Guerchin, dans une œuvre conservée au
Palais Pitti, à Florence, propose une variante, dans laquelle la victime est au
sol, le dieu l’y maintenant d’un pied. Le mythe du coupable
écorché a souvent été repris en s’inspirant du mythe de Marsyas. Ainsi, Gérard
David, dans le volet droit de
son Jugement de Cambyse, conservé au
Groeningemuseum de Bruges, L’Écorchement du juge Sisamnès, donne une vision d’une insoutenable atrocité, avec
une victime impavide, résignée, et des spectateurs curieux, entourant les
quatre bourreaux. Le christianisme a
repris ce mythe avec l’apôtre Barthélemy dont la
tradition rapporte qu’il a été écorché vif, ce qui en fait le patron naturel
des bouchers, des tanneurs et des relieurs. La représentation la plus mémorable est
celle qu’en donne Michel-Ange au plafond de la
Chapelle Sixtine, dans laquelle l’apôtre tient un couteau d’une main et sa
propre dépouille de l’autre. L’historien
d’art italien Francesco La Cava a avancé l’hypothèse selon laquelle la peau
pendante était un autoportrait du peintre, alors âgé de soixante-dix ans.
Nouvelle métaphore de l’artiste hypersensible… Dans une de ses Handpaintings [illustration 1-1], réalisées avec les doigts sur des toiles libres
de grandes dimensions, Olivier Baudelocque reprend à son
compte la figure de Marsyas écorché et de l’arbre de son supplice. La chair est
à nu, le sang coule à flots, les bras suspendus s’allongent démesurément…
Alentour, les moutons – les brebis à l’épaisse toison d’Ovide –, les
bergers et les satyres vaquent à leurs occupations dans une complète
indifférence pour la tragédie qui se déroule au premier plan. Emmanuel Rivière pratique le
moulage de l’intérieur de masques africains ou asiatiques pour nous livrer des
œuvres – en négatif – réalisées en silicone passée au graphite. Les trous y
deviennent des protubérances, les saillies des trous. Son Marsyas III [illustration 1-2], réalisé avec un moule spécialement conçu à cet
effet – un masque démesurément allongé, comme la dépouille sur la fresque de la
Sixtine –, est en relation directe avec le mythe. Il nous donne à voir la peau
de l’écorché avec, cependant, au centre, une protubérance au niveau du sexe. La proposition de Xavier Ribot [illustration 1-3] est plus directe. Il exhibe une peau rose – presque
sensuelle si elle ne dérangeait pas –, qui ne peut être qu’humaine, légèrement
gonflée par le fantôme du corps qui l’a occupée, mais vouée à
être tannée… 2. La caverne Platon,
dans le Livre VII de La République, développe l’allégorie de la
caverne : « Maintenant, représente-toi de la façon que voici l’état
de notre nature relativement à l’instruction et à l’ignorance. Figure-toi des
hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur
une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance,
les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent ni bouger ni voir
ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la
lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux ;
entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de
cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs
de marionnettes dressent devant eux et au-dessus desquelles ils font voir leurs
merveilles. Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant
des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d’hommes et
d’animaux, en pierre, en bois et en toute espèce de matière ; naturellement
parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent. » Le mythe de la caverne, dont l’origine remonte aux
pythagoriciens, illustre donc la situation des hommes par rapport
à la vraie lumière, par rapport à la vérité : ils sont condamnés à vivre
dans un monde de fantômes qu’ils prennent pour des réalités. La caverne figure
le monde sensible dans lequel nous vivons, champ de toutes les dictatures,
visibles et invisibles. L’homme devient esclave de lui-même, de son éducation,
de ses préjugés. Il ne peut, par ses seuls sens, accéder à une quelconque
connaissance. Il revient au philosophe de faire comprendre et accepter que la
vision commune du monde est une illusion, fondée sur des a-priori, qu’il
faut sortir de la caverne de l’ignorance pour se mettre en quête de la réalité,
de la vérité. Pour Platon, la caverne est plus qu’un mythe.
C’est un appel à la prise de responsabilités politiques auprès de ses
concitoyens. Socrate le confirme lui-même dans ce même livre de La
République : « [...] cette remontée depuis la grotte souterraine
jusque vers le soleil ; et une fois parvenu là, cette direction du regard vers
les apparences divines [...] voilà ce que toute cette entreprise des arts que
nous avons exposé a le pouvoir de réaliser. » Le philosophe doit donc
aider ses contemporains à passer de l’opinion fournie par les sens et les
préjugés à la vraie connaissance de la réalité intelligible des Idées. Au-delà d’un propos à caractère initiatique,
Platon nous propose une réflexion sur le conditionnement des esprits. On peut
aussi y lire, à la lumière de Descartes[4], une tentative de lutte contre le déni de
réalité : confrontation violente de l’esprit et des
préjugés humains à l’expérience de l’inattendu. Plus récemment, Alain Badiou[5] reprend le mythe de la caverne et le transpose,
non sans humour, pour stigmatiser les représentations fallacieuses du réel
véhiculées par les médias. Dans la Bible, la caverne est souvent associée à
un lieu assurant la protection : les Israélites s’y réfugient pour fuir
les Philistins, Moïse s’y cache, David et Saül se
retrouvent dans la même grotte, le Messie est
placé dans une grotte pour en ressortir vivant… L’imaginaire contemporain
associe surtout la caverne ou la grotte aux hommes préhistoriques et aux
peintures rupestres qu’ils ont laissées. Le mythe de la caverne n’a que très peu séduit les
peintres. Jan Saenredam et Ferdinand Springer s’y
sont attaqués, mais à travers des gravures, technique moins spectaculaire et
plus élitiste que la grande peinture historique, mythologique, religieuse ou de
genre. Ne doit-on pas y voir une preuve supplémentaire qu’il s’agit d’un propos
dont la teneur ne s’adresse pas au plus grand nombre, mais à des happy fews ?
L’image d’une figure projetée sur un mur a aussi alimenté le mythe de l’origine
de la peinture, figuré par de nombreux artistes, dont le Belge Jean-Benoît
Suvée, qui relatent l’histoire de la fille du potier corinthien Dibutadès et de
son amant. Olivier Baudelocque, avec ses Grottes [illustrations 2-1 & 2-2] renoue avec la thématique de la caverne.
Monumentales ou petites, elles sont simultanément géodes ouvertes dans
lesquelles le spectateur est invité à pénétrer comme par effraction, scènes
d’un théâtre imaginaire où se joue un spectacle qui nous échappe, contenus
recyclés de poubelles multicolores, paysages escarpés, éboulis instables,
maquettes de mises en scènes improbables, décors rococos arrachés à des
chapelles d’Europe centrale, coulées de laves psychédéliques, évocations
romantiques d’un âge d’or révolu, crèches dans une église baroque, repaires
d’un Fafner domestiqué, reliquaires profanes, figurations de
la chute et de la rédemption… Et bien d’autres choses encore… 3. Les métamorphoses Ovide commença
la rédaction de ses Métamorphoses en l’an I de notre ère, à Rome, et en
abandonna l’écriture, en l’an IX ou X, en exil à Tomes, l’actuelle
Constanţa, au bord de la mer Noire. En quinze livres et près de
12 000 hexamètres dactyliques, le poète met en scène les légendes de
transformation mythique d’environ 250 personnages, depuis le Chaos originel
jusqu’à l’apothéose de César Auguste. Les
héros évoqués, sont métamorphosés en plantes, en animaux, en astres, en pierres
ou en phénomènes naturels. La figure d’Io transformée en génisse,
la relation de l’enlèvement d’Europe par Jupiter sous la
forme d’un taureau, l’évocation de Narcisse changé en fleur, la
nymphe Écho muée en phénomène de réverbération, la
métamorphose de Philémon et Baucis respectivement en chêne
et en tilleul, et bien d’autres encore ont constitué un réservoir de mythes et
d’images dans lequel les artistes et les poètes ont largement puisé. Parmi les mythes de transformation en végétal, par exemple,
Antonio Pollaiuolo a figuré, dans une œuvre des collections de la
National Gallery, à Londres, la métamorphose de Daphné, poursuivie par Apollon, en
laurier rose. Dans le domaine des transformations animales, Giuseppe Cesari,
dit le Cavalier d’Arpin, a illustré, dans un petit tableau conservé au Louvre,
le mythe du chasseur Actéon, métamorphosé en cerf par Artémis, qu’il
avait surprise au bain, lequel finira dévoré par ses propres chiens. Sauf
quand elles servent de déguisement à un dieu pour abuser de mortel(le)s – Zeus se
muant en cygne pour Léda ou en taureau pour Europe… –, les
métamorphoses de la mythologie gréco-latine revêtent en général un caractère
punitif. C’est ce qui ressort du titre de la toile de Cristine
Guinamand, Coupable d’obscurité [illustration
3-1], peinte en 2009. La faute à expier n’est pas clairement identifiée,
mais le personnage féminin au premier plan, nu, installé sur une sorte de gril,
se transforme en cerf, tandis que ses jambes et bras se dissolvent. Actéon féminisé ?
Loin à l’arrière-plan, comme dans une grotte, derrière des grilles, un
chasseur, vêtu d’un manteau de pourpre porte des ramures de cerf, à moins qu’il
ne fasse, lui aussi, l’objet d’une métamorphose animale. Artémis
masculinisée ? Il est accompagné d’un cheval ou d’un cerf… Peut-être d’un
cheval, lui aussi transformé en cerf… Le crime commis et puni ne serait-il donc
pas celui du regardeur – comme Actéon –, du voyeur coupable de
trop de curiosité quand il inspecte une œuvre d’art et veut pénétrer les
secrets de l’inspiration artistique ? Quoi qu’il en soit, la nature et ses
phénomènes sont omniprésents chez l’artiste, comme une obsession ou un regret.
N’écrivait-elle pas, en 2004 : Au bois nous n’irons plus. Je
me ferai une cagoule d’herbe Forêts
aux troncs décapités Silhouettes
évaporées Tu
trembles, Jean-Philippe
Brunaud, dans sa série des Errances, 2005-2006,
juxtaposait des personnages – souvent des nus féminins – et des végétaux. Avec
la série des Mutations [illustration 3-2], à partir de 2006, le
végétal et l’humain fusionnent pour figurer de curieuses métamorphoses en cours
de réalisation. Le sexe d’un personnage masculin se transforme en plante ou en
arbre. Relecture, sous une forme renouvelée, et avec une inversion des rôles,
du mythe de Daphné ? Alexander
Guy s’intéresse, lui aussi, au mythe de Daphné [illustration 3-3], mais son héroïne, au lieu d’échapper à un poursuivant qui
veut l’étreindre, est assise, au sommet d’un monticule, dans une solitude que
la luxuriance des couleurs environnantes n’arrive pas à atténuer. Allégorie de
l’abandon, de la solitude sexuelle ? À moins qu’il ne s’agisse encore,
ici, d’une inversion de rôle : Apollon pleurant la perte de son premier
amour ? 4. Mythes gréco-latins La
culture occidentale est toute imprégnée des mythologies grecques et latines.
Les noms des divinités de leur panthéon perdurent dans la langue française –
mais aussi dans la plupart des langues européennes –, sous leur forme grecque
(aphrodisiaque, érotique, apollinien, dionysiaque, le chaos, unepsyché, méduser,
l’hypnose, l’éther, un titan, un typhon, une nymphe, hermaphrodite, l’hyménée,
l’harmonie, létal, l’océan, la géographie…) ou celle latinisée après leur
adoption par les Romains (une minerve, martial, la mercuriale, vénérien,
jovial, herculéen, bacchanales, un faune, l’aurore, un cerbère, une diane, un
cupidon, l’iris, la lune, le sommeil, le soleil, tellurique, les céréales…) La
mythologie grecque nous est parvenue essentiellement par les épopées d’Homère et par
la Théogonie d’Hésiode. C’est un système, en évolution continue pendant
plusieurs siècles, dont la cohérence[6] n’est
pas toujours apparente mais qui nous livre la vision que les Grecs anciens
avaient du monde et de ses origines. Le fond religieux y est souvent dépassé
par la relation de faits anciens qui retracent des épisodes et des
« réalités » historiques justifiant, souvent a posteriori,
l’histoire récente, des pratiques ou des revendications plus contemporaines. Si
elle demeure un phénomène essentiellement littéraire, la mythologie grecque
n’en est pas moins très présente dans la vie sociale. Elle est ciment
communautaire et culturel, plus que fait religieux. Ainsi, l’impiété – άσέβεια
–, chez les Grecs, ne consiste pas à dénigrer ou à ignorer un dieu, mais à
essayer d’en introduire un nouveau, protecteur d’une autre cité. Les dieux,
demi-dieux et héros de la mythologie grecque se comportent comme des humains,
ils sont coléreux, jaloux, cupides, rancuniers et, à l’instar de Zeus, leur
maître, ont une intense activité sexuelle. Les auteurs des comédies grecques
classiques n’hésitent d’ailleurs pas à les représenter dans des situations
scabreuses ou bouffonnes, sans encourir le moindre anathème. Le panthéon latin résulte de l’adoption, par les Romains,
des mythes de la Grèce antique avec l’intégration, dans un processus
syncrétique, de divinités locales, indigètes, notamment étrusques. Ce processus
d’assimilation a culminé à l’époque impériale. Seule une étude minutieuse des
noms latinisés des dieux romains permet de retracer les origines italiques des
divinités originelles, progressivement confondues avec des déités grecques.
Chez les Romains, la mythologie est essentiellement politique, ce qui faisait
écrire à Georges Dumézil : « Rome a eu sa mythologie, et cette
mythologie nous est conservée. Seulement elle n’a jamais été fantasmagorique
ni cosmique : elle a été nationale et historique. »[7] Le
« culte » du Roi Soleil, du temps de Louis XIV, en un
temps de christianisme conquérant, se situe dans cette descendance, comme en
témoigne la résurgence, à cette époque, de toute une littérature et des œuvres
théâtrales et lyriques trouvant leurs racines dans la mythologie gréco-latine. Peter
Max Lawrence nous livre quelques effigies du panthéon grec, dans des
attitudes parfois peu conventionnelles, telle celle d’Hésiode[illustration
4-1] « taquinant » sa muse de façon explicitement sexuelle… et
acrobatique… La Gorgone
[illustration 4-2] de Max Lanci,
curieusement sans tête, se réfère au mythe de Méduse, une
des trois Gorgones, la seule à être mortelle. Selon Apollodore, Méduse était
une jeune fille tellement fière de sa beauté et de sa chevelure qu’elle avait
prétendu rivaliser avec Athéna. Pour la punir, la déesse changea ses cheveux en
serpents et modifia son regard pour qu’il pétrifie sur-le-champ tout humain qui
le fixerait. Métaphore du regard qui métamorphose, donc du travail de
l’artiste, le mythe de Méduse a inspiré de nombreux peintres au cours des
siècles, notamment Le Caravage qui nous en laisse une image… médusante. Avec des
matériaux de récupération – fragment de poupée en matière plastique, pot de
yaourt en verre, bouts de ficelle –, nappés dans de la paraffine et complétés
par des lombrics suspendus à des hameçons, Lanci réussit à recréer le mélange
d’attraction et de répulsion que suscite le personnage mythologique. Hervé
Bourdin, prend pour point de départ la peinture sur un panneau de
bois figurant Neptune et Amphitrite [illustration
4-3] de Jan Gossaert, dit Mabuse, conservée au Musée Dahlem de Berlin. Le
mythe est celui de la séduction. Amphitrite, nymphe fille de Doris et de
Nérée, refusa d’épouser Neptune et se
cacha pour échapper à ses poursuites. Un dauphin, mandaté par Poséidon-Neptune,
la trouva au pied du mont Atlas et la convainquit d’accéder à la pressante
demande du dieu. Hervé Bourdin utilise une reproduction de l’œuvre en toile de
fond de sa composition où un couple, en visite au musée, les mains encore plus
démesurées que sur le modèle, pose en singeant les personnages de la peinture
originelle, mais dans une disposition inversée. À leurs pieds, un enfant,
mi-humain mi-chien, montre son ennui et son désintérêt et pour cette visite
imposée. Mise en abîme… 5. L’Égypte C’est grâce à la richesse de
son culte des morts et à ses manifestations matérielles que
l’ancienne Égypte nous a laissé ses vestiges les plus spectaculaires, mais
aussi le plus grand nombre de clés pour la lecture et la compréhension de son
histoire. Mastabas, pyramides, sarcophages, mobiliers et fresques mortuaires,
serviteurs funéraires – les ouchebtis –, momies, en sont les
manifestations les plus impressionnantes. Figurent aussi, au nombre de ces
vestiges, les fascinants vases canopes. Au
nombre de quatre par défunt, en calcaire, en albâtre, en terre cuite, en
céramique ou en faïence, ils recevaient les viscères embaumés du mort. Ils
étaient placés près du sarcophage, dans la chambre funéraire du tombeau, sur
une caisse ornementée en bois ou dans une cuve en pierre. Les canopes pouvaient
aussi servir à conserver l’eau du Nil. Certains renfermaient parfois les restes
momifiés d’animaux sacrés. Si le nombre de canopes
par sépulture est resté constant au cours des siècles, leur forme, elle, évolua
au fil des dynasties. Initialement sobres, austères, ventrus, ils devinrent
plus effilés à partir du règne d’Amenhotep III (~1391-~1352),
avec des épaules hautes et une assise étroite. À la Basse Époque, ils
redevinrent plus massifs et trapus. Leurs bouchons évoluèrent aussi. D’abord
ronds ou plats, ils prirent, au Nouvel Empire, une forme humaine portant les
traits du défunt, comme c’est le cas de ceux de Toutânkhamon, mort
vers 1327 avant notre ère, conservés au Musée du Caire. À partir de la XVIIIe
dynastie les bouchons commencèrent à représenter les quatre fils d’Horus, quatre
génies dont trois à tête d’animal. Cette représentation se généralisa ensuite.
Chacun des quatre vases contient alors un organe précis et est associé à l’un
des quatre génies, à sa tête, à un point cardinal, à une entité de l’être et à
une déesse. Les
arts occidentaux ne nous ont laissé que très peu de figurations de vases
canopes. Il faut dire que leur usage funéraire ne fut découvert que très
tardivement, par Champollion, en 1812. On en trouve un, probablement
cynocéphale, vers le bas et le centre d’une gravure caricaturale de Thomas
Rowlandson, Modern Antiques, datant de 1806, en pleine
période d’égyptomanie, mais avant la découverte de la fonction funéraire de ces
vases. En 1982, François Jeune, voyagea en Égypte grâce à une bourse
de la Villa Médicis hors les murs. Ce séjour le marqua profondément et durablement.
Il en rapporta de curieux assemblages de bambou
et de papier. Cette étape l’amena à privilégier le papier comme support de ses
œuvres, notamment dans les somptueux découpages spiraloïdes ménageant un carré
blanc en leur cœur de 1982. La série des Naos, de 1984, petits
assemblages, au centre d’une feuille blanche, d’écailles récupérées sur sa
palette et dans des pots de peinture montrent sa fascination pour les temples
égyptiens. Mais ce sont les grands papiers libres de la série Canope [illustration 5-1], de 1983,
qui témoignent de l’influence de l’art funéraire de l’Égypte ancienne. La forme
est clairement identifiable, mais le traitement chromatique et les signes
dessinés dépassent le cadre strictement funéraire pour
devenir des allégories de la mythologie égyptienne. Peter
Max Lawrence nous livre deux de ses relectures de la mythologie égyptienne. Dans le
premier dessin [illustration 5-2], un personnage masculin, portant des ailes dans le dos, se
tient debout à côté d’un couvercle de vase canope cynocéphale. Il s’agit donc
d’estomac, même si les deux moulages de seins féminins, en dessous, peuvent
nous en faire douter. Dans le second [illustration
5-3], la tête du personnage féminin est remplacée par
un couvercle, toujours cynocéphale. À ses pieds, un autre bouchon de canope,
lui aussi à tête de chien, puis, alentour, un bras découpé, ressemblant à un
reliquaire chrétien, et une petite figurine indéterminée dont la forme évoque
les reliquaires Kota. L’artiste réinvente donc un mythe funéraire personnel
fictif, dans une démarche syncrétique où l’Égypte tient la place centrale. 6. Les Aztèques Les codex méso-américains
fixent les origines des Aztèques dans la ville mythique d’Aztlan qui signifie,
en nahuatl, lieu de la blancheur ou lieu des hérons. Elle est
figurée par une montagne entourée d’eau. Sa localisation est tellement sacrée
et incertaine que, contrairement aux autres cités de l’empire, aucun glyphe ne
la désigne. Conduits par leur dieu Huitzilopochtli, les Aztèques la quittèrent
pour se fixer, en 1325, à Tenochtitlan, l’actuelle
ville de Mexico. Nouant et dénouant des alliances tactiques avec leurs voisins,
ils étendirent rapidement leur empire sur toute la région, jusqu’à la prise de
la cité, en 1521, par les Espagnols de Cortés. Les
Aztèques ne lui opposèrent que peu de résistance, car il confondirent le
conquistador avec le dieu Quetzalcóatl, le serpent à plumes, dont
une prophétie avait fixé le retour du côté de l’est. La
religion aztèque est essentiellement syncrétique, mêlant des traditions
polythéistes, chamanistes et animistes provenant de civilisations plus
anciennes du Mexique central. Le surnaturel s’y manifeste par le teotl,
force impersonnelle qui imprègne le monde, et par le tēixiptla,
désignant les représentations physiques du teotl sous la forme d’idoles
matérielles. Les dieux ne sont perceptibles et agissants que par le truchement
de leur tēixiptla. La vénération de Huitzilopochtli,
personnification du soleil et de la guerre, est au centre de la religion, des
pratiques sociales et politiques. Selon
la mythologie aztèque, les dieux ont créé successivement quatre mondes ou soleils,
tous détruits les uns après les autres. Les hommes rescapés du premier soleil
furent changés en poissons, ceux du deuxième soleil en animaux, ceux du
troisième dévorés par des bêtes sauvages, ceux du quatrième transformés en
ouistitis. Quetzalcóatl et Xólotl créèrent un cinquième
monde, sujet au déluge universel, dont n’échappèrent qu’un homme et une femme
réfugiés au sommet d’une montagne. Ce sont eux qui repeuplèrent la Terre. Le
panthéon aztèque comporte plusieurs centaines de dieux, associés notamment à
tous les phénomènes naturels et aux événements, objets et pratiques de la vie
quotidienne. C’est Huitzilopochtli, qui les domine tous,
suivi de Tlaloc, le dieu de la pluie et de l’agriculture. Les
Aztèques croient à la vie après la mort. Les guerriers morts au combat ou
sacrifiés se rendent au ciel oriental près du soleil puis reviennent sous forme
d’un papillon ou d’un colibri au bout de quatre ans. Les gens du commun
disparaissent après leur périple de quatre ans. Les noyés rejoignent Tlaloc. Pour la plupart de nos contemporains la religion aztèque est associée à
la pratique du sacrifice humain. Ce rite était pratiqué de manière habituelle
et massive. Cortés
a estimé que
3 000 à 4 000 personnes étaient sacrifiées par an, mais, en 1487,
lors de la réouverture du temple principal de Tenochtitlan par Ahuitzotl, la chronique rapporte que
80 400 captifs avaient été sacrifiés en quatre jours. Les victimes étaient
initialement des esclaves mais, très rapidement, les prisonniers de guerre
rejoignirent le contingent des victimes, rendant les guerres indispensables
pour renouveler le stock de personnes à sacrifier. On sacrifiait également des
condamnés. Certains rites demandaient le sacrifice de nobles, de femmes
vierges, des enfants ou des personnes ayant un handicap ou une tare physique.
Certains Aztèques se portaient aussi volontaires pour être sacrifiés, avec
l’espoir d’être divinisés. Les sacrifices se déroulaient le plus souvent en haut d’une pyramide
dont la montée symbolisait l’ascension vers le dieu. La forme la plus fréquente
était l’extraction du cœur de la victime vivante, à l’aide d’un couteau
d’obsidienne. Le sacrifié était placé sur le techcatl, la pierre de
sacrifice. Son cœur était ensuite lancé vers un symbole du dieu auquel était
dédié le sacrifice, puis déposé dans un cuauhxicalli, un réceptacle,
pour que la divinité puisse s’en nourrir… Peter Max Lawrence nous livre sa propre vision [illustration 6-1] d’une divinité
aztèque – un tēixiptla, donc – redoutable, asymétrique, féminine par ses attributs sexuels et ses
seins, mais masculine dans son attitude, sa corpulence et sa stature. Elle
porte des plumes, des tatouages et un bol, que l’on imagine rempli du sang
encore chaud d’une victime humaine tout juste sacrifiée, à moins que ce ne soit
un cuauhxicalli. Son bras gauche et sa jambe droite
semblent être des prothèses, plus ou moins déboîtées. Le gros orteil de son
pied gauche est tordu, désaxé. Son masque, sur une tête atrophiée, inspire une
terreur que les jaunes, verts, roses et bleus tendres n’arrivent pas à adoucir.
Effigie de la cruauté… Raymond Moisset relit
et reconstruit le nu féminin à la lumière des glyphes aztèques [illustrations
6-1 & 6-3]. Ses formes sont hybrides, évidemment
féminines dans leur rondeur et dans l’ouverture de cuisses opulentes et
sensuelles, malgré l’absence de tête et la multiplication de bras qui peuvent
devenir tentacules. On y retrouve la chaleur des couleurs chaudes et vives des
illustrations des codex méso-américains. La forme remplit et sature le
rectangle de la toile, comme les glyphes aztèques et mayas le font du carré
virtuel qui leur est imparti. Il n’y a pas de rapport direct avec un quelconque
signe de la langue nahuatl originelle, mais on peut y trouver des rapports,
plus ou moins distants, avec les glyphes représentant le ciel, la mort, le
nombre zéro… Plus encore avec un
symbole maya figurant un roi ou une fleur, après l’avoir retourné tête-bêche.
Peu importe, d’ailleurs, laréalité archéologique. Nous sommes ici dans le domaine de
l’évocation, de la suggestion… 7. Katchinas Chez les Indiens Hopis de l’Arizona et
Zuñis du Nouveau-Mexique, les katchinas sont des esprits du feu, de la pluie,
du serpent ou encore des démons farceurs, espiègles, bienfaisants ou
malfaisants. Pour les Hopis, les katchinas vivent au sommet de monts San
Franciso, près de Flagstaff, en Arizona, mais viennent, à des moments fixes de
l’année, pour retrouver les hommes dans les villages. Ces visites donnent
naissance à des cérémonies, auxquelles les enfants sont initiés dès l’âge de
sept ans. Le mot katchina désigne simultanément les esprits, les hommes masqués
et déguisés qui les personnifient lors des solennités et les poupées sculptées
les représentant. Le panthéon katchina comprend plus de quatre cents
personnages, avec des variantes d’un village à l’autre. Un katchina peut
représenter un objet du monde réel ou du cosmos : le spectre d’un ancêtre,
un des quatre éléments, un lieu, une qualité, un phénomène naturel, une notion,
un concept… Les katchinas entretiennent entre eux des relations de type
humain : ils ont des parents, des frères, des sœurs, des oncles, des tantes,
des grands-parents, peuvent se marier et avoir des enfants. Les Hopis ne
rendent pas un culte, stricto sensu, aux katchinas, mais les vénèrent et les
respectent, les invoquent pour obtenir leur protection, obtenir la pluie, la
fertilité ou une guérison… Selon Claude Lévi-Strauss[8], « Les katchinas sont les âmes des
premiers enfants indigènes, dramatiquement noyés dans une rivière à l’époque
des migrations ancestrales. [...] Quand les ancêtres des Indiens actuels se furent
enfin fixés dans leur village, le mythe rapporte que les katchinas venaient
chaque année leur rendre visite et qu’en partant, elles {sic} emportaient les
enfants. Les indigènes, désespérés de perdre leur progéniture, obtinrent des katchinas qu’elles {sic}
restassent dans l’au-delà, en échange de la promesse de les représenter chaque
année au moyen de masques et de danses. » L’ethno-anthropologue, poursuit
en établissant un parallèle avec le mythe occidental du père Noël : les
enfants ne doivent pas reconnaître leurs parents ou leurs proches sous les
déguisements des katchinas venus les récompenser pour leurs bonnes actions. Dans la cosmologie des Hopis, la Terre
est le quatrième des sept mondes
dans lequel l’homme effectue sa route de vie. Trois sont écoulés, trois à venir. Ce
monde a son propre système solaire, sa lune et ses satellites. Les six autres
univers sont des constellations lointaines. Chez les Hopis, tous les éléments
du cosmos sont unis entre eux et interdépendants. Ce sont le bon comportement
de l’homme, l’harmonie qu’il dégage et le respect des rites ancestraux qui
contribuent au parfait fonctionnement de l’ensemble. Les bonnes pensées de l’homme peuvent influer sur l’harmonie cosmique, sur la vie de son
peuple et sur sa prospérité : succès des récoltes et fécondité. Malgré leur succès commercial auprès des
touristes et des collectionneurs, la fabrication des poupées katchina continue
à respecter un processus fortement ancré dans les croyances du peuple Hopi. En
particulier, leurs couleurs sont codifiées et associées à des notions très
précises, notamment aux points cardinaux : le jaune pour le nord, le
bleu-vert pour l’ouest, le rouge pour le sud, le blanc pour l’est, le noir pour
le zénith et le multicolore ou le gris pour le nadir. Natif du Kansas, Peter Max Lawrence s’est installé en Californie pour échapper à la
marginalisation des homosexuels dans cet État très conservateur.[9] De nombreux voyages en Arizona et au
Nouveau-Mexique, voisins, lui ont alors permis de découvrir les civilisations
des Indiens Hopis et Zuñis. Dans une démarche quasiment ethnologique, Lawrence
nous livre un inventaire de quelques-uns des katchinas du panthéon hopi. Il
s’est inspiré, notamment, d’une illustration d’un livre d’anthropologie de la
fin du XIXe siècle et d’annonces publicitaires pour la vente de poupées
katchinas proposées aux touristes. Chacune des figurations respecte les
caractéristiques du katchina et son ancrage dans la culture des Hopis. Par
exemple, Tumae [illustration 7-1], considéré généralement par les Hopi
comme la mère de tous les katchinas, est souvent figuré portant les branches de
yucca dont les jeunes enfants seront frappés lors des rites d’initiation. Matia
[illustration 7-2] est représenté comme un porteur de
mains. Monwû [illustration 7-3] appartient à la famille des katchinas
gardes. Il est particulièrement réputé pour la surveillance
constante des clowns dont il contrôle et empêche les pitreries qui pourraient
être dangereuses. À cet effet, il utilise des branches de yucca pour fouetter
les clowns. Il peut aussi utiliser de l’eau afin de les arroser. Il est
également associé à la fertilité. 8. Syncrétisme Certains artistes n’hésitent pas à faire appel à des
éléments appartenant à des cultures éloignées, dans le temps comme dans l’espace,
pour créer leur propre langage plastique, développer une symbolique
personnelle, à la façon dont certaines religions se sont déployées en intégrant
et en assimilant des dogmes et des mythes appartenant à des cultes plus
anciens. Il s’agit d’une forme de syncrétisme, qui, à l’instar de certaines
religions – ou pratiques locales de religions établies –, incorpore des
composantes exogènes dont les origines sont encore reconnaissables. Il s’agit
de constructions essentiellement personnelles, qui n’ont aucune prétention à
l’universalité, mais n’en manquent pas moins de richesse évocatrice et laissent
libre cours à l’imagination du spectateur. Peu
avant son décès accidentel prématuré, en 1976, Iaroslav Serpan [illustration
8-1] a développé une série de narrations sans histoire
qui, selon ses propres dires, « expriment de
façon abstraite les relations entre divers objets, suivantun
code symbolique constitué de quelques formes simples (carré, cercle, triangle,
ovale, courbes, etc.) et d’un petit nombre de couleurs pures. »[10]
Son symbolisme emprunte aux cultures occidentales et asiatiques, dans un
mélange qui évoque « des bandes dessinées qui n’auraient ni héros, ni
personnages aisément identifiables. »[11] Ce
sont, toujours selon l’artiste, « des descriptions d’événements possibles,
de processus éventuels, de transformations latentes. »[12]
Serpan développe ainsi une forme de mythologie potentielle, dont la symbolique
emprunte à des registres épars et la cohérence n’émerge que dans l’assemblage
sur la toile. Dana
Roman [illustrations 8-2 & 8-3],
Roumaine devenue
Parisienne, développe un art qui emprunte aux mandalas hindouistes ou
bouddhistes, à l’art aborigène d’Australie, aux glyphes mayas, mais aussi à la microbiologie
ou à l’entomologie. Michel Random, s’exprimant sur son travail, écrit :
« Formes et couleurs composent des rapports aux complémentarités
vibratoires, selon un processus qui évoque les mandalas traditionnels composés
de poudres de couleurs, mandalas sacrés qui sont aussi champs de formes
vibratoires et énergétiques, car chacun sait que l’association des couleurs,
des formes et de la symétrie est le langage des dieux. […] Elle puise son
inspiration dans un imaginaire archétypal, comme si par une évocation
inconsciente, elle voulait établir un dialogue, une osmose même, entre sa
structure cellulaire et sa conscience. Autrement dit, elle manifeste
l’invisible vivant. Ses œuvres peuvent se percevoir à différents niveaux,
au-delà de la rationalité ordinaire, peut-être leurs qualités vibratoires ont,
elles aussi, des vertus thérapeutiques »»[13] 9. Aborigènes en Australie La mythologie
des aborigènes d’Australie se réfère à une sorte d’âge d’or, le Temps du
rêve, un temps préalable à la création de
la Terre, où la distinction entre hommes et animaux n’existait pas. Chacun des
groupes linguistiques possède et nourrit sa propre mythologie, qui tente
d’expliquer et de justifier, par des faits historiques anciens, la nature et
ses phénomènes, les paysages de leur écosystème, les comportements et les
relations sociales. Ce sont des milliers de personnages mythiques qui scandent
ainsi la vie des peuples aborigènes, expliquant les origines de leurs
territoires, de leurs paysages, des animaux qui y vivent et des végétaux qui y
poussent. Ces explications se transmettent de génération en génération,
oralement, par des initiés, et à travers des peintures rupestres, sous forme
d’un savoir, d’une sagesse, enrichis, au fil du temps, par des expériences et
des faits nouveaux. Toute la science et toutes les pratiques humaines y sont
englobées : dogme, liturgie, histoire, géopolitique, civilisation,
géographie, cosmographie, sociologie... Au Temps
du rêve, qui précède la création de la Terre, tout était spirituel et
immatériel. Ce temps existe encore, dans un monde parallèle qui reste
accessible aux initiés pour des exercices spirituels, pour communiquer avec les
esprits, décrypter les signes, les présages, prévenir les maladies et les catastrophes naturelles. Baiame, le
grand ancêtre, premier être, dieu du ciel et de la terre, de la vie et de la
mort, de la pluie et des shamans, créa le monde en le rêvant. Il s’accoupla à
Birrahgnooloo,
déesse-émeu de la fertilité et des eaux, pour donner naissance à Daramulum,
l’unijambiste qui peut changer d’apparence à son gré. Depuis, chaque événement
associé à une action d’un de ces êtres, simultanément métaphysiques et
historiques, laisse une trace matérielle. C’est l’accumulation de ces traces
matérielles qui constitue la nature. Certains lieux sont plus chargés de ces
vestiges, ce qui en fait des sanctuaires où réside le sacré et leur confère un
pouvoir de rêve, à savoir une plus grande faculté d’accéder au Temps du rêve.
Pour la
plupart des tribus aborigènes, toutes les formes de vie appartiennent à un
ensemble complexe d’interactions d’êtres, d’animaux ou de représentations
métaphysiques dont les origines remontent aux grands esprits tutélaires de la
tribu. La vie consciente résulte de la création, par le rêve, de concepts
primordiaux, fourmis vertes ou hommes éclairs, jaillis de la
foudre du serpent arc-en-ciel. Ces entités ont ensemencé la terre,
générant les plantes et les animaux, puis se sont réfugiées sous les blocs de
grès rouge d’Uluru. Dans un autre mythe, partagé par un grand nombre de tribus,
deux frères s’affrontent à cause du don de mémoire fait aux hommes[14],
générant un cataclysme qui les enfouit sous le continent des brumes glaciales.
Dans les deux cas, les principes générateurs, occultés, restent en sommeil
jusqu’à ce que le monde de la surface de la Terre soit redevenu propice à leur
retour.[15]
Ils n’agissent plus que par télépathie, guidant les pensées et les actes de
leurs créatures et des tribus auxquelles ils ont donné naissance. Les peintres
aborigènes d’Australie sont, dans leur immense majorité, des femmes. Margaret
Yai Yai, de la tribu des Pitjantjatjara, représente le serpent Liru [illustration
9-1], un serpent venimeux du centre de l’Australie. Le Liru est aussi et
avant tout une figure mythique pour les
aborigènes de la région. Le grand rocher rouge d’Uluru résulterait de la
bataille entre le Liru, venimeux, et le Kunia, le python de Children, non
venimeux. La face sud du rocher garde la trace de l’affrontement. La légende
raconte que, au temps de la création – tjukurapa en langue anangu –, les
hommes de la tribu des serpents non venimeux – les Woma et les Kunia –
vivaient près d’un point d’eau, à Pugabuga. Mécontents de leur sort, les hommes
du Kunia émigrèrent vers l’ouest, à Uluru. Ils furent alors transformés en
éléments naturels : rocs, buissons, cavernes… Des hommes de la tribu du
Liru, sous la direction de Kulikudjeri, les attaquèrent. Minma Bulari, femme
Kunia, alla au devant des attaquants en crachant l’arukwita, l’esprit de
la maladie et de la mort. Elle tua ainsi un grand nombre d’assaillants. La
bataille finale opposa Kulikudjeri, le chef rescapé des Liru, et Ingridi, le fils
de Minma Bulari. Ce
dernier l’emporta, mais la paroi rocheuse garde les traces de son sang et de
celui de son ennemi. Une mare, au pied du roc, l’a recueilli et figure sur la
toile de Margaret Yai Yai. Mona
Curtis [illustration 9-2] et Glenda Forrester [illustration
9-2], de la tribu des Arunda, ainsi que Jennifer Forbes [illustration
9-2], de la tribu des Ngaanyatjarra, s’intéressent à la recherche de la
nourriture, exercice long et fastidieux, nécessitant de longs périples dans le
bush. Les femmes aborigènes recherchent notamment des bananes, des oranges et
des quondongs sauvages, des larves d’insectes
enterrées… L’objet de leur recherche
apparaît de façon stylisée dans leurs peintures, dans des écrins abstraits
qui leur confèrent une dimension sacrale. Carol
Doolan [illustration 9-2], de la tribu des
Anoonguna, développe des motifs abstraits, souvent
d’origine végétale, auxquels sa peinture attribue une dimension et une aura
iconiques. 10. Rock & pop Dès leur naissance, le rock et la pop
ont généré leurs premiers mythes. Elvis Presley en est le prototype,
suivi par Bob Dylan, les Beatles et bien d’autres…
Bien souvent, ces artistes ont été dépassés par leur propre mythe et le culte
qui leur était voué. Initialement un pur produit de l’American Dream, le
rock s’est progressivement implanté dans presque tous les pays de la planète en
s’hybridant avec les cultures populaires locales. Vecteur de rêve, il s’inscrit
dans la descendance du romantisme. Lors d’une conférence, prononcée à Bruz le
27 janvier 2012, Jérôme Rousseaux propose une analyse et une classification
des postures qui, année après année, ont alimenté la mythologie du rock.
Le conférencier se livre aussi à une analyse de la typologie des
formats de groupes, des genres de musiciens et de leurs images archétypales.
Les pochettes des disques ont été des
supports efficaces à la propagation des mythes sur les rock stars. La plus emblématique est celle de l’album 33 tours des Beatles, Abbey
Road, enregistré en 1969
et vendu à plus de trente millions d’exemplaires. Abbey road et son passage
piéton, souvent parodiés, sont devenus une icône et un lieu visité presque
religieusement par les touristes et les fans du groupe. Une foule de légendes et de ragots continuent à alimenter
la mythologie du rock. On explique ainsi que le bluesman Robert Johnson aurait, dans les années 1930, vendu son
âme au diable en échange de dons exceptionnels pour jouer sa guitare. On
raconte aussi que, en jouant Strawberry
Fields Forever ou Revolution N°9 des Beatles à l’envers, on peut
entendre des messages relatifs à la mort de Paul McCartney, lequel aurait été discrètement remplacé
par son frère. On prétend aussi – et beaucoup le croient – que Jim Morrison et Elvis Presley sont, eux, bien vivants… Steve Keene [illustrations 10-1 & 10-2], est un artiste prolifique qui défend le
concept d’une peinture de masse destinée au plus grand nombre. Il
s’exprime : « je veux qu’acheter mes peintures soit comme acheter un
CD – c’est simple, bon marché et ça change votre vie, mais l’objet n’a aucun
statut particulier. »[16] Il peint, dans une démarche qui
s’apparente à la production à la chaîne mais reste manuelle. Il produit, chaque
jour, des dizaines d’œuvres identiques, en parallèle. Ses supports sont des
panneaux de contreplaqué avec un système d’attache rudimentaire réalisé par un
fil métallique passé à travers deux trous dans la planche. Ses thèmes de
prédilection sont issus de l’American Way
of Life et des mythes
fondateurs de la nation et de la culture étasuniennes. Il en donne des
représentations iconiques, un peu à la manière des chromos qui, sur les murs
des classes des écoles primaires dans les années 1950 et 1960, illustraient
certaines scènes de l’Histoire de France. Les idoles de la musique populaire et
du rock y ont une place importante, au même titre que Lincoln ou Washington. 11. Mythes libertaires La
liberté est, depuis le siècle des Lumières, un des grands mythes fondateurs de
la société occidentale moderne. Sa forme contemporaine prend, en grande partie,
sa source dans les idéaux de la Révolution française. Elle a son culte, ses
exégètes et ses icônes, telle celle que Delacroix immortalisa dans sa monumentale toile du Louvre, mais
aussi ses tabous et ses non-dits, ses interdits et sa langue de bois. La
notion de liberté a grandement évolué dans le temps. Dans son acception
moderne, elle reste très relative, personnelle, individualisée, à la source
d’un malentendu ontologique que Nietzsche souligne : « Aussi longtemps que nous ne
nous sentons pas dépendre de quoi que ce soit, nous nous estimons indépendants
: sophisme qui montre combien l’homme est orgueilleux et despotique. Car il
admet ici qu’en toutes circonstances il remarquerait et reconnaîtrait sa dépendance
dès qu’il la subirait, son postulat étant qu’il vit habituellement dans
l’indépendance et qu’il éprouverait aussitôt une contradiction dans ses
sentiments s’il venait exceptionnellement à la perdre. Mais si c’était
l’inverse qui était vrai, savoir qu’il vit constamment dans une dépendance
multiforme, mais s’estime “libre” quand il cesse de sentir la pression de ses
chaînes du fait d’une longue accoutumance ? »[17] La
mythologie libertaire est très souvent auréolée d’aspects romantiques. Elle est
aussi volontiers manichéenne. Comme dans les histoires de cow-boys et
d’Indiens, elle a ses gentils et ses méchants. Les premiers
seront vainqueurs, après de dures épreuves ; les seconds sont d’emblée
condamnés à être battus.[18] Les
représentations plastiques du mythe se placent, le plus souvent, du côté des
gentils. Les relations de l’épisode de la prise de Missolonghi par les Turcs,
lors de la guerre d’indépendance grecque, en 1825-1826, sont symptomatiques à
cet égard. Theodoros Vryzakis peint l’arrivée de Byron dans la cité, entre deux
assauts turcs, tandis que Delacroix nous donne l’allégorie de La Grèce pleurant sur
les ruines de Missolonghi. Une scène glorieuse et romantique à souhait et
une image de la désolation porteuse d’espérance… Et, ce, toujours vu du point
de vue du futur vainqueur, du gentil. Max Lanci, dans Vierge, noir [illustration
11-1], revisite l’histoire de la traite des noirs et de l’esclavagisme.
Son œuvre mêle de la paraffine, du charbon de bois, des cordelettes, des épines
de rosier et des entraves métalliques rouillées, du type de celles que l’on
imagine maintenir les membres des forçats ou des
esclaves. Les mains et les pieds moulés sont, cependant, ceux de l’artiste qui
fait ainsi, d’une protestation universelle contre la barbarie et la cruauté,
une affaire qui est aussi personnelle. L’artiste s’identifie simultanément au
bourreau et à la victime, dans une approche qui a parfois des relents de
masochisme. On pense au Baudelaire de L’Héautontimorouménos.[19] On peut
aussi y voir une opposition dialectique blanc-noir, transposition, par le contraste
entre le charbon de bois et la paraffine, de l’antagonisme racial entre
esclavagistes et esclaves. Les épines de rosier et la rouille des fers
contribuent aussi à tirer le propos du métaphysique vers le physique, du
concept à la réalité. La polysémie est aussi très présente dans le titre, où la
suppression de la virgule et/ou l’ajout d’un e final à noir, fait
basculer la narration dans un registre tout autre, sexuel. Merri
Jolivet, évoque l’assassinat par un vigile de l’entreprise
Renault, le 25 février 1972, du militant maoïste de la Gauche prolétarienne
Pierre Overney [illustration 11-2]. Jolivet part du négatif d’une photographie de
presse, prise sur le fait par le photographe de l’AFP Christophe Schimmel. Elle
montre le militant mort, allongé sur le sol, au pied d’un mur, entouré de
jambes et de pieds de spectateurs anonymes. Il y superpose une autre image, où
l’on distingue un miroir et un journal, puis traite l’ensemble dans un camaïeu
de verts et de gris. Le résultat est ambigu, à lectures multiples, à la manière
d’une icône en l’honneur de celui qui fut et est encore, à l’instar du groupe
Baader-Meinhof,[20]
en Allemagne, une des matérialisations du mythe de l’extrême gauche
prolétarienne. 12. People mythifiés Pour George Bernard Shaw, la différence entre le
sauvage et le civilisé est que le sauvage adore des idoles de bois et de
pierre, alors que le civilisé adore des idoles de chair et de sang.[21]
Les pharaons égyptiens et les empereurs romains étaient défiés, parfois de leur vivant.
L’empereur du Japon est d’essence divine. Dans les régimes totalitaires du XXe
siècle, l’idolâtrie institutionnalisée devient culte de la personnalité.[22]
Ailleurs, il nourrit les dérives égocentriques de régimes autoritaires :
Mao Zedong, Ceauşescu, Franco, Salazar, Mussolini, Hitler … Sans tomber dans ces extrêmes, dans des démocraties réputées policées,
des politiciens, des chanteurs, des acteurs, des sportifs… sortent de
l’anonymat pour être élevés au rang de vedette, d’idole. Ils jouissent d’un
ascendant important sur leurs contemporains et leurs faits et gestes, devenus
quasiment liturgiques pour leurs fans, sont abondamment relayés par une
presse spécialisée. Bernard Dugué, dans une chronique diffusée sur Internet, résume fort bien la
situation : « Les peuples ont perdu la raison et sont restés
au stade de la mythologie romaine en façonnant quelques espérances
irrationnelles fondées sur des hommes déifiés au destin que les dieux ont
décidé de défaire. » Contrairement aux héros civils d’antan, ce ne sont plus les hauts faits
des people de notre temps, leurs prouesses ou leurs performances, qui
alimentent la chronique, mais les faits divers, avec une prédilection pour les
secrets d’alcôve, les conquêtes ou les déboires sentimentaux, les écarts de
conduite ou de comportement, les scandales… La focalisation ne se fait plus sur
un idéal politique, artistique, sportif ou autre, mais sur une personne, avec ses
qualités et ses défauts, avec une propension marquée à mettre en avant ces
derniers. La vedette qui, par le talent qu’elle déploie dans son activité
professionnelle, s’est petit à petit acquis une grande notoriété passe
désormais derrière celles dont l’image projetée précède toute confirmation
d’une quelconque valeur intrinsèque. Certaines de ces stars sont
devenues prisonnières de leur propre image et se doivent de se comporter de
façon conforme aux attentes de leurs adorateurs. Inversion des rôles : du
statut de personne qui dirige la foule, elle passe à celui de celle que la
foule dirige ! La pression peut devenir insoutenable et conduire au pire, ce
dont les médias people se repaîtront sans la moindre pudeur. De l’autre côté, en faisant d’une personnalité une idole, ses fans
se dispensent de décider pour eux-mêmes et de faire les efforts nécessaires à
leur survie et à leur progression. Ils vivent, en quelque sorte, par délégation
de personnalité, par procuration. Projetant tout leur être sur leur idole, ils
ont l’illusion que ses progrès deviennent aussi les leurs. Dans certains cas
extrêmes, les aléas de la vie du modèle deviennent plus importants que ceux de
leur propre vie. Marine Vu, dans un incessant exercice de déconstruction
et de reconstruction, s’est intéressée à quelques-unes des figures du star system politique. De sa démarche, elle écrit : « Au commencement il y a le pouvoir fascinant des photos de
famille. Entre innocence esthétique et redoutable efficacité plastique. Ce qu’elles
affichent et ce qu’elles murmurent. À propos des liens intimes et familiaux et
de leur ambivalence fondatrice. Il y a aussi quelque chose sur le temps. Qui
forme, déforme, occulte, détruit, dans un même mouvement irrépressible. Et le
regard, mouvant, sur les liens qui se tissent dans sa trame. » Elle a
appliqué cette démarche, non sans un brin d’humour, à deux couples qui font la
une des journaux : Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair [illustration 12-1], d’une
part, Barack et Michelle
Obama [illustrations 12-2 & 12-3], de l’autre. Les cadrages sont inspirés des photographies
des magazines people avec une volonté de déstructurer, de déconstruire
l’image et de la reconstruire, dans une démarche qui transpose à la peinture la
démarche de Derrida sur le
langage. Louis Doucet, mars 2013 [1] In Mythologies. [2] Par exemple in Réflexions sur la violence. [3] Chez les Grecs anciens, l’ϋβρις est un sentiment violent inspiré par les passions, plus particulièrement par l’orgueil, et traité comme un crime. Ils lui opposaient la tempérance et la modération. [4] Notamment dans sa Première méditation. [5] In La République de Platon, Fayard. [6] Par exemple, Homère attribue l’origine du monde à Océan et Téthys, tandis qu’Hésiode donne ce rôle à Chaos, Éros et Gaia. [7] In Horace et les Curiaces. [8] In Le Père Noël supplicié. [9] Voir son court métrage Queer in Kansas, 2008- 2009. [10] Cité dans le catalogue de l’exposition Serpan, Fondation Nationale des Arts Graphiques et Plastiques, 22 février au 4 avril 1983. Un fragment de l’œuvre GUGRL (La fête) figure sur la couverture de ce catalogue. [11] Ibidem. [12] Ibidem. [13] M. Random, Dana Roman, Fragments International, avril 1996. [14] On est, ici, proche du mythe de Prométhée. [15] Le parallèle peut être fait, ici, avec le retour annoncé du Christ, à la fin du Temps. [16] Intervention à l’Université du Kansas, à Lawrence, en janvier-février 2006. [17] In Humain trop humain II – Le voyageur et son ombre. [18] Vae victis, disaient les Romains. Une proposition qui reste bien d’actualité en ce XXIe siècle. [19] In Les fleurs du mal, « Je suis la plaie et le couteau ! / Je suis le soufflet et la joue ! / Je suis les membres et la roue, / Et la victime et le bourreau ! » [20] Iconifié par Gerhard Richter. [21] The savage bows down to idols of wood and stone, the civilized man to idols of flesh and blood. [22] Formule (Культ личности) due à Nikita Khrouchtchev dans un discours dénonçant le stalinisme. |